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À l’Index et en Enfer

REPORTAGE par Jimmy La Manna, technicien en documentation

          SEPTEMBRE 2022

Que signifie exactement « mettre à l’index » ? Nous entendons souvent cette expression sans toutefois savoir son origine ni ce à quoi elle faisait référence.

Section sur la censure cléricale à l’exposition de l’Assemblée nationale À l’index ! Regards sur la censure littéraire au Québec.

PHOTO : JIMMY LA MANNA

L’expression vient de l’ Index librorum prohibitorum, qui signifie « liste des livres interdits ». Cette liste a été rédigée après le Concile de Trente (1542-1563) en réponse aux réformes protestantes. Elle visait à censurer les ouvrages qui mettaient en doute les fondements de la foi catholique, l’autorité en place ou bien les valeurs morales.

Rome a institué une congrégation de l’Index, qui avait pour mission de consigner tous les livres jugés immoraux. De sa naissance au 16e siècle à son abolition sous Paul VI en 1966, cette liste n’a cessé d’évoluer : régulièrement, des ouvrages étaient rayés de l’Index et d’autres y étaient ajoutés. Les membres de la Congrégation s’assuraient de dresser une liste la plus complète possible en prenant les livres de tous les pays. Ensuite, l’Index était publié et distribué aux instances chargées de la censure pour s’assurer que les fidèles catholiques ne puissent pas lire les ouvrages interdits.

Différent chez nous

Toutefois, le clergé du Québec a eu une différente mainmise sur la censure puisqu’il trouvait que le processus pour mettre un livre à l’Index était trop laborieux. Carolyne Ménard, responsable de l’exposition À l’index ! Regards sur la censure littéraire au Québec à la bibliothèque de l’Assemblée nationale, mentionne que seuls trois ouvrages québécois ont officiellement été mis à l’Index de Rome. La nature de ces trois livres est étonnante, car nous pourrions d’emblée penser aux poèmes d’Émile Nelligan ou à des manifestes, notamment. Mais il s’agit de l’Annuaire de l’Institut Canadien de 1868-1869, Le clergé canadien, sa mission, son œuvre publié en 1896 de même qu’un ouvrage de théologie en anglais de 1909. Il est intéressant de constater qu’il s’agit d’ouvrages religieux. Cependant, il faut savoir que ces deux derniers livres allaient à l’encontre des idées véhiculées par l’Église de l’époque au Québec.

Comment se fait-il que nous n’y trouvions que trois œuvres québécoises, et ce, sachant que beaucoup plus d’ouvrages auraient pu être mis à l’Index? La réponse est simple. Le clergé québécois avait assez d’influence pour censurer les livres qu’il jugeait pernicieux sans même les envoyer à Rome pour être validés par la congrégation de l’Index.

Malgré la mise à l’Index des livres de Jean de la Fontaine, de Charles Baudelaire ou d’Honoré de Balzac, rien n’empêchait de trouver un exemplaire de ces œuvres dans certaines librairies. L’Index était une liste d’ouvrages qui ne devaient pas être lus par les catholiques, mais cela ne signifiait pas que ces livres étaient automatiquement interdits de publication. De plus, la langue de l’ouvrage faisait en sorte qu’un titre pouvait être interdit en Italie, mais pas nécessairement au Canada, puisque très peu de gens lisaient l’italien.

Bien que l’Index librorum prohibitorum ait perdu son autorité en matière de censure en 1966 après le concile de Vatican II, les divers gouvernements ont continué de censurer des ouvrages par la suite. De tout temps, la censure littéraire a surtout été utilisée par les autorités civiles pour que les populations ne se rebellent pas contre elles et pour éviter la propagation de valeurs contraires à la morale commune.

La section « l’Enfer » de la bibliothèque du Séminaire de Québec.

PHOTO : JIMMY LA MANNA

L’Enfer du Séminaire de Québec

Nous retrouvons dans les archives du Musée de la civilisation plusieurs documents qui ont été censurés par le passé. Le Musée gère la collection du Séminaire de Québec. Fondé en 1663 par Mgr François de Laval, le Séminaire possède une bibliothèque monumentale comprenant un peu plus de 188 000 œuvres. Parmi ces livres se trouve une section où étaient placés les ouvrages que l’Église québécoise ne voulait pas voir consultés par les fidèles. Cette section a été surnommée « l’Enfer ». Nous trouvons dans l’Enfer des livres sur l’histoire romaine, sur la philosophie ou l’intégrale des œuvres de Machiavel en italien, mais aussi plusieurs ouvrages sur la religion et différentes versions du Nouveau Testament, souvent rédigées par des protestants, comme Martin Luther.

Dans son livre Promenade en Enfer, l’ethnologue Pierrette Lafond écrit que seuls les prêtres du Séminaire et quelques heureux élus pouvaient consulter les livres qui se trouvaient dans l’Enfer. Toutefois, ils ne pouvaient que consulter un ouvrage à la fois et devaient avoir l’accord de l’archevêque de Québec ou d’un évêque. Cela permettait non seulement de restreindre l’accès aux livres, mais également de connaître qui consultait quoi et dans quel but. Elle rappelle que « l’évêque détient également l’autorité d’interdire, sur le territoire de son diocèse, les titres qu’il juge contraires à la morale ou au dogme ».

Bons et mauvais livres

Mais pourquoi conservait-on des livres ayant été condamnés par l’Église ? Les ouvrages étaient interdits aux fidèles, mais pas aux prêtres ni à certains séminaristes. Les prêtres pouvaient étudier les livres de l’Enfer à des fins éducatives, mais également pour confirmer si le livre était toujours condamné par l’Église, puisque la liste changeait à chaque nouvelle édition de l’Index. Pierrette Lafond ajoute que garder les livres dans l’Enfer permettait de comparer les bons et les mauvais livres.

Si la censure littéraire est chose du passé, la censure existe encore de nos jours. Avec l’arrivée des réseaux sociaux, nous voyons apparaître de nouvelles formes de censure. Autrefois, la censure était le privilège d’une élite (ecclésiastique ou politique), mais aujourd’hui, le commun des mortels peut bannir les idées ou les paroles qui vont à l’encontre de ses valeurs.

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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