Bâtir un pont : Pour un dialogue entre la communauté LGBT et l’Église catholique

REPORTAGE par Jacinthe Lafrance

          SEPTEMBRE 2019

Si j’écris « Orlando », peut-être y associerez-vous spontanément Disney World et autres parcs thématiques prisés des touristes. Si j’ajoute « fusillade », le drame qui s’est jouré à la discothèque Pulse vous reviendra probablement en mémoire. Faisant 39 morts le 12 juin 2016, c’était jusqu’alors la fusillade la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis, et elle s’est déroulée dans un bar fréquenté majoritairement par des personnes gaies.

Pour James Martin, père jésuite qui pratique une pastorale de proximité avec les catholiques LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres) à New York, il s’agissait d’un crime homophobe à condamner sans réserve. Seulement, l’Église catholique américaine fut justement trop réservée à son goût dans ses dénonciations de ce crime haineux. C’est la combinaison de cette tragédie et du mutisme de l’Église qui a motivé ce prêtre engagé, contributeur aux contenus du groupe de médias catholiques America, à écrire son livre Bâtir un pont. Paru en 2017 dans sa version anglaise, ce livre se voulait à l’origine une main tendue à la communauté des catholiques LGBT et à l’Église-institution pour mettre en place les conditions d’un dialogue fructueux. Dans l’introduction de l’édition révisée et augmentée, l’auteur reconnait cependant que son public est plus large qu’il ne l’anticipait : plus il donne de conférences, plus il entend de témoignages, plus il se rend compte que ce sujet concerne l’Église tout entière, et même des chrétiennes et des chrétiens d’autres confessions. Se tenant volontairement à l’écart des sujets irréconciliables comme le mariage des personnes de même sexe, il se concentre sur des points de convergence, comme la foi sincère des personnes concernées. Les maîtres-mots de son ouvrage sont d’ailleurs tirés de l’enseignement de l’Église catholique qui, dans le Catéchisme, invite les fidèles au respect, à la compassion et à la délicatesse à l’égard des personnes homosexuelles envers qui « on évitera […] toute marque de discrimination injuste » (2358).

Un séminaire de lecture

Après sa publication en français chez Novalis, Bâtir un pont a fait l’objet d’un séminaire de lecture qui s’est poursuivi tout l’automne 2018, à Victoriaville, suivant l’initiative de Martin Yelle, coordonnateur du Centre Emmaüs des Bois-Francs. Cette activité a été organisée en collaboration avec le GRIS Mauricie-Centre-du-Québec, qui a promu l’événement dans son réseau. Une vingtaine de participantes et participants ont pris part à l’une ou l’autre des cinq rencontres au calendrier. La composition du groupe de lecture était très diversifiée : des personnes s’identifiant à la communauté LGBT, d’autres se considérant comme des « alliées » ou simplement intéressées par le sujet. Toutes et tous partageaient cependant une expérience commune : celle de leur foi en Jésus Christ. Quelques-uns des participants et participantes qui assument aujourd’hui leur homosexualité ont confié avoir déjà vécu une union hétérosexuelle « conforme » aux attentes de la société et de l’Église, avant d’admettre leur orientation profonde. Chez eux, cette période est souvent associée à une négation de soi, à des épisodes de dépression ou à d’autres souvenirs douloureux.

Respect, compassion et délicatesse

« J’ai vécu à côté de mes bottines trop longtemps », illustre Guylaine Laroche, qui a connu l’amour dans une relation avec une autre femme à la mi-quarantaine. « Je n’ai jamais été une meilleure personne qu’en aimant cette femme-là, poursuit-elle. L’aimer m’a permis de mieux aimer tout le monde. » Cette période d’épanouissement lui a donné le désir de renouer avec une foi plus active et engagée au sein d’une communauté chrétienne. Mais elle éprouve un malaise à se considérer partie prenante de l’Église-institution, à s’y sentir chez elle et à se reconnaître comme croyante telle qu’elle est. Pour elle, le livre de James Martin ôte un lourd poids sur ses épaules. «Ça m’a transpercée », affirme-t-elle. Le fait de voir un prêtre ainsi reconnaître la réalité de l’homophobie et de prendre conscience que des efforts pastoraux sont faits dans certains diocèses, certaines paroisses, tels furent les fruits de son expérience de lecture. Elle a accueilli les mots « respect, compassion et délicatesse » comme une révélation.

Les participants à l’une des rencontres du groupe de lecture de Victoriaville

PHOTO: JACINTHE LAFRANCE

Fécondité spirituelle

Pour Stéphane Blackburn, professeur de philosophie qui poursuit un discernement comme aspirant au diaconat permanent, c’est un questionnement à l’égard de lamorale catholique qui l’a conduit, avec son épouse Sylvie Barron, vers ce groupe de lecture. « Le mal dénoncé par Jésus n’est jamais quelque chose qui n’est pas choisi », observe-t-il. Dans sa vie personnelle, il a vu son frère vivre une dépression en se découvrant gai. «Ce n’est pas normal! », lance-t-il. Pour un autre participant, la sortie du placard est effectivement un acte porteur de vie alors que le rejet de soi ne peut que faire du tort : «À partir de l’acceptation de moi-même, dit-il, ma vie spirituelle a pris un élan. » À cet égard, celui-ci déplore que l’importance accordée à la fécondité biologique, dans le mariage, provoque une certaine mise à l’écart de la fécondité spirituelle tout aussi importante. «Quand on n’accueille pas les dons de certaines personnes, on stérilise l’Église », estime-t- il. De plus, dans de nombreuses cultures, la discrimination subie par les personnes LGBT pourrait être soulagée par une Église qui se soucierait davantage de cette forme d’exclusion en mettant en pratique une pastorale accueillante à leur endroit. Un enjeu humanitaire, croient certains. D’autres témoignages d’expérience en tant que croyants et croyantes, tant par des personnes LGBT qu’hétérosexuelles, ont été livrés tout au long de ces rencontres. La relation avec le propos du livre Bâtirun pont s’établissait sur la basse du dialogue, dans le respect, la compassion et la délicatesse, tel que le propose l’auteur. Dans tous les cas, il s’agissait de réflexions profondes, empreintes d’une recherche d’authenticité dans l’expérience de foi et dans la vie affective des personnes.

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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