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De l’Index à l’animation de toute la pastorale

REGARDS BIBLIQUES par Sébastien Doane, professeur d’études bibliques, Université Laval

          MARS 2020

Si aujourd’hui la lecture de la Bible est si largement promue par l’Église catholique, il fut un temps où il fallait une autorisation papale pour la lire dans sa langue chez soi! En ce mois de la Bible en France, voici un aperçu du rapport à la Bible dans l’Église catholique.

En tant que passionné de la Bible, j’ai toujours été surpris de voir que la plupart des catholiques que je rencontre ne l’ont pratiquement jamais lue par eux-mêmes. Ce réflexe a des racines qui plongent dans les réactions à la Réforme protestante au 16e siècle. 

La Bible à l’Index

L’Index est une liste de livres prohibés, instaurée après le concile de Trente (1545-1563). Les traductions de la Bible, les Bibles latines autres que la Vulgate ainsi que les commentaires bibliques ont une place de choix dans la première version de ce catalogue. Pour vous donner une idée de l’ampleur de la censure, voici une citation aussi longue que fascinante: 

Comme il ressort manifestement de l’expérience, si les saintes Bibles en langues vulgaires sont permises à tous sans discernement, il en résulte, du fait de l’imprudence humaine, plus de dommage que de profit. Qu’on s’en tienne donc, en cette matière, au jugement de l’évêque ou de l’inquisiteur; ils pourront permettre, après avis du curé ou du confesseur, la lecture des saintes Bibles traduites en langue vulgaire par des auteurs catholiques, à ceux qu’ils auront jugés capables de fortifier ainsi leur foi et leur piété, et non d’en éprouver du dommage. Ils devront recevoir cette autorisation par écrit.  Qui osera lire ou posséder ces Bibles sans cette permission ne pourra recevoir l’absolution de ses péchés avant d’avoir remis ces volumes à l’évêque du diocèse. Quant aux libraires qui vendraient des Bibles en langue vulgaire à des gens non munis de cette autorisation, ou les leur procureraient par quelque moyen que ce soit, qu’on leur retienne le prix de ces livres pour que l’évêque emploie cette somme à des fins pieuses; et ensuite, à l’appréciation de l’évêque et en fonction de la nature du délit, qu’ils soient soumis à d’autres peines (Index du concile de Trente, Règle 4).  Il était donc possible de lire la Bible… avec l’autorisation de l’évêque. Mais cette règle fut durcie en 1596 lorsqu’on décida que l’autorisation devait venir du Saint-Siège. Imaginez la scène : il fallait écrire au pape pour avoir le droit d’acheter et de lire une Bible! L’objectif était clair : tout faire pour dissuader un contact direct avec le texte biblique. Mais pourquoi?

Sola scriptura

Un des piliers de la réforme de Luther se trouve dans un rapport renouvelé aux Écritures. L’invention de l’imprimerie aida les protestants à développer un contact personnel et familial aux textes bibliques. Ce renouveau biblique avait une portée subversive, puisque par la diffusion large de la Bible, chacun pouvait maintenant la lire et accéder à une autre forme d’autorité que la hiérarchie de l’Église. La fameuse expression Sola scriptura (l’Écriture seule) était utilisée par les protestants pour affirmer que la Bible est une autorité en elle-même et ne dépendait pas de l’Église ni de sa structure hiérarchique. 

Les directives de l’Index voulaient contrer la lecture personnelle de la Bible puisque cette activité était vue comme spécifique aux protestants. De même, comme à la suite de Luther, les protestants développaient des traductions accessibles dans des langues comme le français, ces traductions étaient interdites par l’institution catholique. On voit la logique de la Contre-Réforme qui réagit en s’opposant aux pratiques protestantes.

Au cœur de la mission de l’Église

Heureusement, le temps de l’Index est bien terminé. Mais quelques siècles plus tard, force est d’admettre que ce débat a laissé des marques profondes. Pourquoi est-ce que mon grand-père Gabriel, qui a toujours vécu dans un environnement catholique, n’a commencé à lire la Bible que quelques années avant sa mort? Pourquoi est-ce qu’on me demande encore si je suis protestant lorsque j’anime des ateliers bibliques? 

Signe réel de changement, Benoît XVI a donné un élan au lien entre Bible et catéchèse dans son exhortation apostolique Verbum Domini, qui vise à faire ressortir la place centrale de la Parole de Dieu dans la vie de l’Église par l’animation biblique de toute la pastorale. Celle-ci ne consiste pas simplement à ajouter quelques rencontres sur la Bible dans les paroisses, mais à mettre en pratique la conviction que «la rencontre personnelle avec le Christ se communique à nous dans sa Parole» (VD, 73). Cette exhortation affirme que «la mission d’annoncer la Parole de Dieu est le devoir de tous les disciples de Jésus-Christ, comme conséquence de leur baptême. Aucun croyant dans le Christ ne peut se sentir étranger à cette responsabilité […] Cette conscience doit être réveillée dans chaque famille, paroisse, communauté, association et mouvement ecclésial» (VD, 94). Ainsi, nous sommes invités non seulement à développer le caractère biblique de toutes les activités ecclésiales, mais aussi à trouver une place de choix pour parler de Bible et la mettre en pratique à la maison. Des ponts permettent donc de combler le gouffre qu’il y avait dans le rapport à la Bible entre protestants et catholiques. Quelques siècles ont été nécessaires, mais sur ce sujet, les intuitions de Luther ont fini par faire leur chemin dans l’Église catholique. Rien n’est aussi intéressant que ce qui est interdit. Alors, oserez-vous lire ce qui était jadis censuré et qui est maintenant au cœur de la mission de l’Église?

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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