Des baptisés en mission
REPORTAGE par Stéphane Gaudet
NOVEMBRE 2023
Le diocèse de Sainte‐Anne‐de‐la‐Pocatière est divisé en trois régions appelées « unités missionnaires ». L’une d’elles a trouvé sa propre façon de vivre la synodalité.
L’Unité missionnaire du Centre couvre 22 paroisses, de L’Islet à Saint-André-de-Kamouraska. Les laïques ayant participé à une réflexion sur l’avenir de l’Église et de l’Unité au printemps 2019 se sont par la suite vu offrir la possibilité de faire partie de l’équipe. Résultat : un groupe très diversifié de 12 personnes au lieu d’une structure pyramidale au sommet de laquelle trônent curé et vicaires. « On est tous égaux dans cette équipe », affirme le prêtre-modérateur Christian Bourgault. En sont aussi membres deux jeunes prêtres originaires d’Afrique, des agentes de pastorale et des laïques, que l’abbé Bourgault préfère appeler « baptisés en mission ».
« Ensemble, on essaie d’écouter l’Esprit pour conduire la mission chez nous », ajoute-t-il. L’équipe s’est donné trois champs d’activité : la prière et la célébration; la fraternité et l’engagement; la formation à la vie chrétienne. Chaque membre est libre de travailler dans le champ qu’il préfère, là où il se sent le plus d’affinités. L’équipe demeure en lien avec l’évêché et avec les équipes d’animation locales dans les paroisses. Les décisions se prennent par consensus, après prière (« on écoute ce que le Seigneur nous dit ») et discussion. Bel exemple concret de cette synodalité dont on parle tant.
Faire communauté
Réjean Poitras est l’un de ces baptisés en mission. « Dans notre unité, on est en train de revenir à la base. Quand les premiers chrétiens formaient des équipes, il n’y avait pas de décideur, ils décidaient ensemble. On cherche à faire communauté, pas seulement avec des célébrations eucharistiques, mais aussi et surtout hors de l’église. Les gens peuvent se rassembler et faire communauté n’importe où. Je ne cherche pas à remplir les églises, je cherche à faire communauté. »
L’abbé Bourgault utilise une image aéronautique pour décrire l’Église actuelle. « On a notre Église qui vit depuis des siècles. En même temps, il y a quelque chose de nouveau qui est en train de naître. Il faut articuler les deux. Nous avions un gros avion, qu’on est en train de poser, tranquillement. On accompagne encore les gens dans nos célébrations dominicales très classiques, mais on voit bien qu’il existe des communautés où il n’y a presque plus personne, parfois 10 ou 12. Mais en même temps, on a aussi un petit avion Challenger, dans lequel on s’assoit où l’on veut. Ce petit Challenger-là, on pense qu’il a plus d’avenir. »
Anne-France Cauchon n’y voit aucune opposition. « Ce n’est pas l’un OU l’autre, c’est l’un ET l’autre. Il ne faut pas séparer, il faut additionner. » Selon elle, l’Église peut continuer d’offrir la messe traditionnelle le dimanche matin et d’autres façons de faire Église le reste de la semaine. « Il ne faut pas jouer les prophètes de malheur et annoncer des fermetures avant les fermetures. Mais on le sait, on les voit les gens à l’église, la génération qui ne sera plus là dans 10 ans. Ce n’est pas le temps de démissionner, ils sont encore là, le dimanche à la messe, il faut les prendre et leur donner ce qu’ils viennent chercher. Et en même temps, il faut penser aussi à voir plus loin et plus large. »
Multiplier les canaux
Nombre d’activités sont organisées par l’équipe pour faire communauté autrement. À Ciné-disciples, on prie, échange et témoigne à partir d’un film. Deux fois l’an, les déjeuners Fraternité-prière rassemblent les gens au restaurant; ils prennent des nouvelles les uns des autres, puis une personne témoigne de l’action du Seigneur dans sa vie. La Messe du cœur est toujours célébrée ailleurs que dans une église et propose de la musique et des chants plus modernes. En mars 2022, peu après l’invasion russe de l’Ukraine, une marche pour la paix dans les rues de La Pocatière suivie par un temps de prière à la cathédrale a réuni 175 catholiques, protestants et musulmans.
Karl Boulet croit qu’on a tout à gagner à multiplier les canaux et les approches. « On veut rejoindre l’ensemble des personnes. J’aime énormément la messe, mais force est de constater que ça n’attire pas tout le monde. Il faut avoir cette capacité de s’adapter, de s’avancer sur des terrains inconnus et de faire vivre des expériences différentes. » Faire vivre des expériences, parce que nous sommes à l’ère du ressenti.
En avril 2023, un 5 à 7 pour la paix a rassemblé une cinquantaine de personnes au Collège Sainte‐Anne, à La Pocatière.
« Il faut oser »
L’équipe de l’Unité du Centre sort des sentiers battus. « Quand on ose, il y a des gens qui chialent, mais il faut oser » affirme Réjean Poitras. Ce à quoi acquiesce Mino Adjin : « Le changement, ça vient toujours nous déstabiliser. Autant les fidèles qui viennent à la messe que les prêtres, car il y en a qui ne veulent pas que les choses bougent… Mais quand on pense que c’est la bonne chose à faire, il faut aller de l’avant, en y allant doucement pour ne pas brusquer les choses. Puis les gens qui étaient réticents au départ se rendent compte que finalement, ce n’est pas si pire que ça ! » Certains vont même jusqu’à remercier l’équipe de leur avoir fait vivre quelque chose de nouveau.
« Je trouve que la pandémie, pour l’Église, nous a donné un électrochoc. Pendant que les églises ont été fermées, on a été obligés d’inventer d’autres façons de faire Église. Il en est resté quelque chose. Le Seigneur ne nous envoie pas d’épreuves. Mais il s’est drôlement servi de celle-là ! Son Esprit a soufflé très fort. On n’a qu’à accueillir les fruits de ça et continuer dans cette voie », conclut Anne-France Cauchon.