Éloge de l’impuissance
À CONTRE-TEMPS par Vincent Painchaud
JUIN 2022

Guerre, épidémie, aléas de l’économie… l’actualité semble échapper à tout ce que l’individu pourrait tenter pour en altérer le cours. De même, le progrès technologique et l’érosion des traditions nous rappellent que les repères qu’un peuple tient pour acquis sont sujets à des forces qui le dépassent et lui échappent. L’humanité dans son ensemble se retrouve désarmée lorsque confrontée à des cataclysmes d’envergure géologique ou astronomique. À tous les niveaux, donc, ce sentiment d’impuissance est inséparable de la condition humaine.
La tentation de l’insignifiance
Pour certains, cette perspective peut inciter à la panique ! Descartes ne disait-il pas que tous nos efforts devaient tendre à « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », comme si notre destinée n’était que de maîtriser notre destinée ? Or, à mesure que nous essayons de construire un monde à notre image et conforme à notre volonté, nous nous sentons de plus en plus étrangers en celui-ci. Quoi que nous fassions, nous avons l’impression que la marge de manœuvre nécessaire pour rêver et devenir plus grands que nous-mêmes se réduit continuellement.
Pour d’autres, au contraire, ce constat est un soulagement. Comprendre que l’individu n’est rien et ne peut rien à l’échelle de la collectivité, que son peuple en est un parmi plusieurs qui ont émergé et disparu sur notre planète, que cette dernière n’est qu’un grain de sable à l’échelle du désert cosmique nous oblige à lâcher prise. En prenant un recul quasi infini, nos angoisses deviennent des plus insignifiantes. C’est là une manière bien radicale de relativiser nos problèmes, mais qui risque de dévaloriser du même coup tout ce qui peut être tenu pour vrai, beau et bon dans l’expérience humaine.
La démesure de Dieu
Ces deux attitudes convergent en un même désespoir : l’idée selon laquelle nos actions et même notre existence seraient dépourvues de sens. Or, pour le chrétien, le sens de son existence ne dépend pas de lui, mais de Dieu. Par la foi, nous nous abandonnons à lui, avec la certitude qu’il est plus grand que cet univers dans lequel nous avons l’impression de nous perdre. Nous croyons également qu’il a souci de nous rejoindre en notre petitesse, en la personne de Jésus. Les psaumes sont les premiers à relever ce paradoxe : « À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? » (Psaume 8,4-5). Il nous revient d’offrir à Dieu notre impuissance, qui deviendra le substrat de notre espérance, l’espace dans lequel il pourra agir en nos vies, selon ce qu’il révéla à saint Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. »