In memoriam
À CONTRE-TEMPS par Vincent Painchaud
MARS 2024
Il y a quelques années, à Montréal, la rue Amherst fut rebaptisée Atateken, ce qui veut dire « fraternité » en mohawk. Il faut dire que l’héritage de l’officier britannique, connu pour avoir comploté l’extermination des Premières Nations avec des couvertures infectées à la variole, ne correspond heureusement plus aux valeurs du temps. Périodiquement, des squelettes sortent du placard des archives pour hanter les lieux publics qui portent leur nom. Certains appellent à les exorciser par l’oubli, d’autres font valoir qu’ils peuvent être témoins de la complexité de notre passé.
QUE TON NOM SOIT SANCTIFIÉ
Nous éprouvons un malaise face à ceux qui se permettent de juger les mœurs d’un autre siècle avec les normes qui prévalent dans le nôtre, comme si, au terme du progrès, nous étions plus près d’une vérité éternelle : laissons l’avenir en rire avec autant d’arrogance. De mon côté, je maintiens qu’Amherst n’était pas moins un maniaque génocidaire en 1763 qu’en 2024, et je crains que notre époque ne soit en rien mieux équipée pour écarter l’émergence d’une âme aussi mal intentionnée.
Il faut admettre que les changements de noms sont de nature idéologique et aux motivations parfois douteuses, comme pour cette campagne qui voulait renommer « Oscar-Peterson » la station de métro Lionel-Groulx, du nom de l’historien accusé d’être « nationaliste ». Néanmoins, ceux qui déplorent que l’on détruise l’histoire en altérant le nom de repères géographiques méritent ce rappel : la toponymie en dira toujours plus long sur l’époque qui attribue les noms que sur ceux qui les ont portés.
JE ME SOUVIENS
Revenons à la base. Outre la volonté « d’honorer » la mémoire de quelqu’un, est-ce que la toponymie contribue vraiment au devoir de mémoire? Autre opinion tranchée de ma part : je n’en crois rien. Animant des célébrations religieuses au CHSLD, je m’y réserve une rubrique « le saint de la semaine » où des résidents, ayant habité un même village pendant près d’un siècle, me confient n’avoir jamais su jusqu’alors qui étaient « Saint-Louis-de-France » ou « Saint-Léon-le-Grand ». Bien qu’ayant épousé une historienne, j’avoue ne jamais avoir pris la peine de consulter dans le Dictionnaire biographique du Canada les noms associés aux rues sur lesquelles j’ai habité… et vous ?
Pire, ce qui « honore » finit parfois par prendre la place de ce qui est honoré. Dans l’imaginaire collectif, saint Tite est un festival western bien avant d’être le récipiendaire d’une épitre de Paul, contenue dans le Nouveau Testament. Il ne faut pas sous-estimer la capacité du présent de tout ramener à lui-même. Si on veut honorer notre histoire, il faut lui accorder une place dans nos écoles et dans notre culture, pas seulement l’espace d’un « post-it » sur un coin de rue.