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LUC TARDIF, o.m.i.

« J’ai été heureux de servir mes frères »

ENTREVUE par Stéphane Gaudet

          Novembre 2023

François Dompierre
PHOTOS : STÉPHANE GAUDET

Le père Luc Tardif a été le supérieur de la province oblate Notre‐Dame‐du‐Cap pendant 12 ans, de 2011 à octobre 2023. Il a répondu à nos questions alors qu’il ne restait que quelques semaines à son quatrième et dernier mandat.

Comment la province oblate Notre-Dame‐du‐Cap a‐t‐elle évolué depuis votre entrée en fonctions ?

La province compte 99 membres. Ça veut dire qu’on a perdu environ 150 oblats depuis 2011. Notre moyenne d’âge tourne autour de 84 ans. C’est un peu trompeur, car on accueille aussi des jeunes, une dizaine, qui viennent d’autres provinces oblates. Ils ont forcément rajeuni la nôtre. Par exemple, la province du Cameroun va nous donner 10 missionnaires. Nous participerons à leur formation.

Jusqu’ici, les missionnaires de l’étranger ont surtout été envoyés sur la Côte-Nord auprès des Autochtones. Dès mes premières visites là-bas, j’ai eu un coup de cœur. Ça m’a chamboulé. Je me suis dit : « Ici, c’est oblat ! » Notre présence y est l’une des expressions les plus claires de notre charisme missionnaire. J’ai fait de la consolidation de cette mission un cheval de bataille.

J’ai servi quatre mandats, et chacun a eu un pôle différent. Le premier, j’étais très actif dans l’animation de la communauté. Le deuxième, ça a été les négociations: ventes, cessions, transitions, transformations. Le troisième, le recours collectif contre les Oblats. Le quatrième, la pandémie. Plus j’acquérais de l’expérience, plus ça devenait difficile! Mais j’étais préparé chaque fois pour la prochaine étape.

La mission des Oblats auprès des Autochtones est‐elle devenue plus difficile maintenant ?

Oui et non. Oui parce que la conjoncture est très complexe. Certains mouvements radicaux parlent de décolonisation, d’autochtonisation de la théologie… Nos jeunes missionnaires africains ne sont pas équipés pour cela. Ils héritent d’un passé qui n’est pas le leur et qui est très lourd.

Non parce que là où nous sommes sur la Côte-Nord, une tranche importante de la population souhaite qu’on demeure avec eux, qu’on chemine ensemble. Nos jeunes missionnaires ont le privilège de l’étranger. Les Innus aiment beaucoup les Africains, parce qu’ils sentent qu’ils n’ont rien à voir avec ce lourd passé. Comme si ces jeunes missionnaires signifiaient un nouveau départ.

La question des abus, commis par des oblats parfois décédés depuis des décennies, a‐t‐elle pesé lourd sur votre provincialat ?

C’est clair que ça a pesé, et lourdement. À certains moments, c’est presque impossible de ne pas le prendre personnel, parce qu’on colle à cette histoire-là, c’est le péché de nos ancêtres qu’on porte. Ce furent des périodes intensives et très difficiles lorsque nous rencontrions des victimes. Je suis davantage en mesure de prendre mes distances aujourd’hui, le vivre avec un certain détachement, mais c’est vrai qu’il y a eu des moments très difficiles.

Comment se sent‐on après quatre mandats à la tête de la province ?

Je me sens très bien. Même que j’étais prêt à continuer ! J’ai été heureux de servir mes frères, et surtout reconnaissant. C’est une grâce. Mais c’est exigeant. Devant l’ampleur des défis qui durent, je n’ai pas de raison de ne pas être disponible. Mais à un certain moment, je me suis dit que le temps était venu de passer le témoin. Déjà avec un quatrième mandat, on étirait la règle, un cinquième aurait été difficilement envisageable. J’aime à penser que je suis encore assez jeune pour commencer une nouvelle mission.

Il y a un deuil à faire. Je devrai désapprendre certaines choses, comme ne plus présider les réunions auxquelles je participerai.

Diriger une congrégation religieuse de nos jours, est‐ce que ça consiste uniquement à gérer la décroissance ? Est‐il encore possible de créer, de faire du neuf ?

Je pense que oui. Forcément, le monde change, et faire du neuf est incontournable. Par exemple, les jeunes confrères oblats à Ottawa sont très imaginatifs pour accompagner et rassembler les jeunes adultes. Ils organisent un ciné-club, des fins de semaine de retraite dans un chalet… On ne faisait plus de telles choses depuis un certain temps. Ils font du neuf! Gérer la décroissance, oui, il faut le reconnaître: j’ai fermé plusieurs maisons, vendu des propriétés, mais se dépouiller, se départir, c’est aussi faire du neuf.

Un signe que nous sommes vivants, c’est la communication. J’ai créé un bulletin bimensuel, Info OMI. Je le rédige à 80 %, depuis 12 ans. Il faut que les nouvelles circulent pour que la vie circule.

Peut‐on encore penser à de nouvelles vocations, est‐il encore possible d’en susciter ? De prier pour cela ?

Moi, je ne parle plus de vocations. Le mot «vocation» a une connotation essentiellement ecclésiale. Je parle plutôt de mission. Comme disait Jean Monbourquette, «chacun sa mission». Quand Jésus nous dit de prier le maître qu’il envoie des ouvriers pour la moisson, il ne dit pas des gens d’Église, avec des ministères ordonnés! Je prie pour que chaque personne sur notre terre trouve sa mission pour la moisson. C’est un relent de l’ecclésiocentrisme qui précédait Vatican II mais qui perdure encore aujourd’hui : tu as une vocation seulement si tu es religieux ou prêtre. J’aime beaucoup le pape François qui dit que chaque personne a une mission et que nous sommes tous une mission. On n’a pas à se questionner sur la vocation, mais se demander quelle est la mission qui est la mienne aujourd’hui dans le contexte actuel.

Il faut décléricaliser tout ça. La vision théologique qu’on porte, notre visée missionnaire, ce n’est pas l’Église. C’est le Royaume. C’est dans cette perspective du Royaume que nous avons tous une responsabilité, une mission, un ministère.

François Dompierre

« Les Oblats vont rester au Sanctuaire. C’est notre option. »

Les Oblats sont les gardiens du Sanctuaire Notre‐Dame‐du‐Cap depuis 1902. Devront‐ils bientôt céder la place à de nouveaux gardiens ?

Nous n’en sommes pas là. Mais il se peut qu’un jour, ce ne soit plus possible pour nous.

Le défi et notre orientation d’ici là, c’est de partager la responsabilité pastorale et missionnaire du Sanctuaire avec des laïques, avec d’autres communautés religieuses, avec le diocèse. Ma lecture de notre histoire, c’est que nous, les Oblats, étions trop nombreux ici au Sanctuaire. Nous n’avons jamais eu besoin de personne. Nous sommes victimes de ça aujourd’hui. Dans d’autres œuvres, comme à l’Université Saint-Paul, nous n’avons pas eu ce problème-là, très rapidement, il y a eu une relève laïque et des autres communautés religieuses. Idem pour le Centre Saint-Pierre. Ici, on n’a jamais appris à partager les responsabilités de manière réelle, sérieuse et durable. Les Oblats s’occupaient de tout. Il va falloir que ça change. Nous espérons compter sur quelques confrères de l’étranger.

Les Oblats vont rester au Sanctuaire, c’est notre option. Dans le cœur des oblats de la province, le Sanctuaire est très important. Nous fonctionnons encore au Sanctuaire, comme dans bien d’autres milieux ecclésiaux, selon un modèle de chrétienté. Il y a des changements importants à mettre en œuvre : diversifier l’offre des activités offertes, inventer de nouvelles manières de se rassembler et de célébrer, prendre au sérieux ce qui se passe dans le monde, prendre un virage missionnaire et synodal en se mettant à l’écoute et en prenant le risque de la rencontre. Ce qui me donne de l’espoir, c’est la qualité des membres du conseil d’administration actuel du Sanctuaire, tous des gens engagés sur les plans professionnel et politique aussi.

Saint Eugène de Mazenod a fondé les Missionnaires Oblats pour rejoindre les personnes éloignées de l’Église, notamment « les pauvres aux multiples visages ». Comment le faire en 2023?

L’enjeu est moins de rejoindre les gens éloignés de l’Église que d’aller vers les pauvres pour qu’ils puissent vivre dans la dignité et le sens.

Il faut retrouver ce que j’appelle «le principe marial de la mission». Nous sommes des hommes qui avons appris à donner, mais pas à recevoir. Nos Constitutions et Règles parlent de «la Vierge attentive à recevoir le Christ» pour le donner. Le principe marial, c’est de recevoir. Pas toujours de donner; donner Jésus comme si nous, nous l’avions et l’autre pas. De qui recevons nous le Christ? Des pauvres. Recevoir le Christ pour le partager, c’est-à-dire s’écouter mutuellement. Le principe marial, c’est que comme missionnaires, tout ce que nous sommes, tout ce que nous avons, nous le recevons. Il faut sortir de la basilique, sortir du Petit Sanctuaire et aller s’asseoir sur un banc à la rencontre des gens, les écouter.

Qu’est‐ce qui vous attend dans les prochains mois ?

Je vais terminer entre le 20 et le 25 octobre. J’irai en Europe, notamment à notre maison de fondation à Aix-en-Provence et notre maison générale à Rome. Je reviens pour Noël. Après les fêtes, j’aimerais être considéré comme en semi-sabbatique puis être disponible au printemps pour une nouvelle mission. Le nouveau provincial [le père Jacques Laliberté, nommé le 15 septembre – NDLR] saura bien m’envoyer là où les besoins sont clairs.

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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