Je suis un mouton
À CONTRE-TEMPS par Vincent Painchaud
JANVIER-FÉVRIER 2022
Être rusé comme un renard, avoir un caractère de cochon ou un air de bœuf… Depuis les Fables d’Ésope et de Lafontaine, notre imaginaire collectif ressemble parfois à une ferme ou à un zoo, où chaque animal représente une vertu ou un vice spécifique. Suivant cette même logique, alors que la pandémie éprouvait la capacité de chacun à collaborer avec les autorités, plusieurs se sont mis à qualifier de « moutons » ceux qui se sont pliés sans broncher aux mesures exigées par l’urgence sanitaire.
Une insulte ?
S’il ne l’est pas déjà, le chrétien devrait être surpris d’y voir une insulte. Le clergé n’est-il pas composé de « pasteurs », la liturgie ne nous présente-t-elle pas « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », alors que les « ouailles » sur les bancs d’église s’assument en proclamant « le Seigneur est mon berger » ? Pourtant, dans notre bestiaire social, le mouton est associé à une douceur synonyme d’impuissance et de naïveté. Il bêle tout bêtement et répète ce qu’il entend autour de lui, il suit un troupeau dans lequel on peine à le distinguer de ses semblables.
Rien ne fait plus horreur à notre époque qu’une uniformité dans laquelle se perdrait notre individualité. Il est vrai que dans la modernité, tout tend à être standardisé et interchangeable. Un hamburger d’une même chaîne de restauration goûtera la même chose à Trois-Rivières qu’à Vancouver. Soumis à un même processus, les humains ont l’impression de n’exister qu’en ce qu’ils sont différents des autres, d’où ce souci de distinction, de se représenter comme un « mouton noir » qui se démarque du reste du troupeau. Ainsi, le déclin de l’appartenance religieuse est peut-être moins le fait d’une victoire de la raison sur la superstition que d’une peur de la pensée unique à laquelle nous condamnerait le « dogme » chrétien. L’individu tient plus à son opinion, aussi erronée soit-elle, qu’à une vérité qui serait bonne pour tous, sans distinction.
Appartenir à plus grand
Sans nier ce besoin d’authenticité, il importe de redonner au mouton toute sa dignité. Blanc ou noir, il n’existe pas seulement dans la mesure où il est différent des autres. Il se comprend comme appartenant à une famille, à une nation, à une Église, bref à un tout plus grand que la somme de ses parties. Il se reconnaît dans ses semblables et comprend que son destin est lié au leur. La brebis se refuse à croire que « l’homme est un loup pour l’homme » (Thomas Hobbes), elle assume cette fragilité qu’elle a en commun avec les autres et y voit une invitation à la solidarité.
Aujourd’hui plus que jamais, je le dis sans honte : je suis un mouton.