« J’vaux-ti la peine ? »
UN AMOUR QUI LIBÈRE par Bernard Ménard, o.m.i.
MAI 2024
Un confrère a eu une influence marquante dans ma vie: il m’a aidé à devenir plus humain, plus détendu, compatissant. De 25 ans mon aîné, il avait connu le monde du travail et le service militaire. Un rassembleur, par sa sagesse et joie de vivre. Louis Raby, aumônier de l’Université d’Ottawa et, tout à la fois, proche des personnes de l’Arche vivant avec un handicap intellectuel.
Un jour qu’il jouait à cache-cache dans un parc avec André, celui-ci s’arrêta soudainement et d’un air inquiet, lui dit : « Toé là, Raby, toé t’es fin pour moé. Toé t’es bon. » Là je sentais, raconte Louis, qu’il allait me dire quelque chose d’important, comme ces personnes savent le faire avec une simplicité déconcertante. «Toé t’es fin. Mais moé, j’vaux-ti la peine ? » Je n’avais pas envie de lui répondre avec des mots. On s’est regardés un bon moment. On a éclaté de rire. On s’est embrassés. On se comprenait tellement.
SOURCE DE NOS DOUTES
André avait vécu du rejet dans son entourage familial et scolaire. Comme tant d’autres. J’entends encore une grande adolescente implorer les adultes: « Ne dites pas aux jeunes des mots qui tuent. » Qui tuent la confiance, le goût de vivre, l’espoir d’un avenir meilleur. Parfois, ce sont les grands enfants qui disent de tels mots à leurs parents ou grands-parents qui tardent à mourir. Des vieux inutiles et pesants à porter, dans ce monde de vitesse et d’efficacité technique. Pour d’autres, le doute porte sur l’avenir du monde, devant la fréquence des cataclysmes naturels ou des actes de violence dans nos quartiers. De jeunes parents s’interrogent : « Dans ce contexte, est-ce sage de mettre au monde un nouvel enfant ? »
DES PAROLES ET DES GESTES DE VIE
On n’a pas tous la chance de côtoyer Katia, cette fillette de cinq ans au rire cristallin. Follement amoureuse de sa grand-maman, à qui elle confie un jour : « Toi mamie, t’es le bon Dieu, hein ? – Pourquoi me dis tu ça ? – T’es tellement bonne ! – Non, je ne suis pas le bon Dieu. Mais je suis l’enfant de Dieu. – Ah, je savais qu’il se passe quelque chose entre vous deux ! »
Ça fait partie du secret que Jésus nous a appris : Dieu passe par nos relations humaines pour nous exprimer son amour. Ainsi, lorsqu’il veut nous dire que Dieu s’inquiète de nos déboires, Jésus raconte : « Un homme avait deux fils. Quand le cadet revient d’un voyage décevant, son père l’embrasse chaudement et fait la fête sans bon sens ! » (Luc 15,11-24) Et pour marquer que Dieu est à la fois père et mère, le peintre Rembrandt l’a représenté, en cette scène, avec une main d’homme et une main de femme posées sur celui qui demeure son enfant, quoi qu’il arrive.
C’est bientôt la fête des Mères. Que lui offrir cette année ? Facile, si elle est en résidence : une carte de fête, qu’on signe simplement Tes enfants. Pourquoi ne pas prendre le temps de lui dire deux ou trois choses qu’on apprécie chez elle : « J’ai tellement aimé ça maman quand… » Comme pour André, votre amour concret la tirera peut-être d’un moment où le doute s’abat sur elle : « Avec mon âge avancé et mes maladies, j’vaux-ti encore la peine ? »