La crise du logement : un problème aux multiples conséquences
REPORTAGE par Yves Casgrain
JUILLET-AOÛT 2023
Le manque de logements partout au Québec est un grave problème social qui touche l’ensemble des municipalités de la province et provoque de véritables drames humains. Notre‐Dame‐du‐Cap est allé à la rencontre de militants et d’experts afin de saisir l’ampleur de ce phénomène.
« C’est vraiment une crise majeure ! », me lance la militante Sonia Côté de l’organisme saguenéen Loge m’entraide. « Ici, le taux d’inoccupation des logements est de 0,9 %. Autrement dit, au Saguenay, il n’y a pratiquement pas de logements disponibles. Ceux qui restent sont soit trop dispendieux, soit en mauvais état. »
Cette situation n’est pas unique à cette région, comme nous l’indique la directrice du développement des habitations communautaires de la Mission Old Brewery à Montréal, Anne Cabaret. « Nous entendons des échos de Rimouski où des logements, il n’y en a juste pas. On ne peut pas se loger, même si on fait un bon salaire. »
Louis Gaudreau, professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, fait le même constat. « Je parlais la semaine dernière à un membre du comité de logement de Rivière-du-Loup qui me disait que les promoteurs ont commencé à construire des appartements, mais c’est du haut de gamme. Le monde ordinaire ne peut pas les louer. »
À Montréal, le taux d’inoccupation n’est guère plus reluisant avec 2 %. Certains quartiers de la métropole, comme Anjou, Saint-Léonard et Montréal-Nord, enregistrent des taux de 0,3 et 0,4 %.
La rareté des logements a des répercussions sur le portefeuille des ménages. « Comme il y a moins d’offre, les prix augmentent. Les personnes ne sont plus capables de payer. Donc, la frange la plus pauvre se retrouve à la rue beaucoup plus facilement », explique Anne Cabaret.
Logements neufs
Pourtant, comme nous le confie Louis Gaudreau, chaque année à Montréal et dans d’autres grandes villes du Québec, de nouveaux logements sont bâtis. « Depuis une vingtaine d’années, on se retrouve dans un marché immobilier où il s’est investi énormément d’argent, énormément ! Cet argent a été canalisé non seulement dans des produits jugés plus rentables, mais aussi dans des secteurs, des régions où l’on pensait que c’était plus payant de le faire, comme dans le centre-ville ou encore en banlieue. Il s’en est construit, des logements au Québec, mais pas partout et pas pour tout le monde», souligne-t-il.
La bonne santé financière du marché immobilier masque donc la crise actuelle, crise que le gouvernement de la CAQ a pris du temps à reconnaître. Toutefois, dans son dernier budget, il a mis en place certaines mesures qui, dit-il, pourront régler la crise à moyen terme, dont la construction de logements abordables et de logements sociaux. Ce n’est toutefois pas l’avis des intervenants du milieu interrogés par Notre-Dame-du-Cap.
« C’est 1500 logements abordables et sociaux sur les six prochaines années au Québec qui sont prévus. Cela fait seulement 250 logements par année au Québec. Cela alimente une crise du logement, c’est certain ! », lance Sonia Côté.
Pour sa part, Anne Cabaret critique le gouvernement pour l’utilisation de plus en plus fréquente de l’expression logement abordable. « Selon ce que nous comprenons du discours du gouvernement, le logement abordable est considéré comme tel par rapport au prix du marché. Si sur le marché un trois et demi, j’invente, est à 1300 $, un logement de la même taille qui est loué à 1000 $ serait considéré abordable. On s’entend que 1000 $ pour un trois et demi, ce n’est pas abordable pour toute une partie de la population. Alors que le logement social, par définition, est subventionné selon le revenu de la personne qui habite ce logement. Il va être réellement abordable pour elle, peu importe le prix du loyer. »
L’itinérance se répand
Non seulement le parc immobilier se raréfie au fil des années, mais la diversité des loyers devient inexistante. Cette réalité peut avoir des conséquences dramatiques pour les citoyens les plus fragilisés. « Personne ne veut être dans la rue. Les gens y sont parce qu’il n’y a pas de types de logements adaptés qui leur conviennent. Ceux et celles qui vivent dans des campements, par exemple, le font parce qu’ils ne se retrouvent pas dans l’offre de logements, de services, de soutien, d’accompagnement », souligne Marie-Pier Therrien, chargée des communications et des relations publiques à la Mission Old Brewery.
Le phénomène des campements ne concerne pas seulement les grandes villes, comme le remarque Guy Godin, ancien fonctionnaire proche des milieux communautaires de Trois-Rivières. « Il y en a ici, à Drummondville et à Victoriaville aussi. La durée de vie des campements a tendance à se prolonger au-delà de l’été. Ici, à Trois-Rivières, des igloos synthétiques ont été installés cet hiver. Nous avons un centre d’hébergement pour les itinérants, le centre Le Havre, qui peut accueillir 22 personnes et un centre d’urgence d’une dizaine de places. Dans une ville comme Trois-Rivières, cela commence à faire beaucoup de monde. »
Pour contrer ce phénomène en croissance dans les municipalités qui, il y a peu, étaient épargnées par l’itinérance, il faut construire des logements qui répondent aux besoins des personnes en situation d’itinérance. C’est justement un des buts de la Mission Old Brewery. « Nous offrons des logements sociaux avec des services. Non seulement la personne va avoir un toit, mais en plus elle va bénéficier d’une intervention psychosociale plusieurs fois par semaine, selon ses besoins », explique Anne Cabaret.
Louis Gaudreau : « Il s’en est construit, des logements au Québec, mais pas partout et pas pour tout le monde. »
Des solutions novatrices
Toutefois, la crise du logement et le sous-financement chronique des organismes communautaires forcent les intervenants à se montrer créatifs afin de trouver des moyens de combler les besoins des personnes en situation d’itinérance ou ceux des ménages à faible revenu.
À Trois-Rivières, Guy Godin revient sur le terrain pour trouver des solutions novatrices. « Nous sommes en train de revoir l’approche traditionnelle qui mise sur l’accès à un logement social avec des services. La crise du logement, l’augmentation de l’inflation va rendre plus difficile l’accès au logement et augmenter, par ricochet, l’itinérance. »
Au Saguenay, Sonia Côté compte sur la construction de coopératives d’habitation. Loge m’entraide, qui fête ses 25 ans cette année, en a sorti de terre quatre avec l’aide de ses membres, locataires, qui portent à bout de bras les projets. Un autre est en marche. « Nous croyons au potentiel des personnes dans le besoin à s’impliquer, à se mobiliser pour mener à bien des projets, même si cela est difficile.
Les valeurs de Loge m’entraide jouent sans doute un rôle dans le succès de l’organisme. « La solidarité, la persévérance et l’espérance. Ce sont nos valeurs. Avec celles-ci, nous arrivons à mener à terme des projets et à mener ce combat collectivement. Lorsque les plus démunis se mobilisent pour livrer un combat, c’est tout à leur honneur ! », lance celle qui a rencontré le pape François lors de sa visite à Québec. Celui-ci, via la nonciature apostolique, compte d’ailleurs parmi les nombreux donateurs qui contribuent au succès de Loge m’entraide.
Marie‐Pier Therrien et Anne Cabaret, de la Mission Old Brewery.
Un droit et un besoin essentiel
De son côté, la Mission Old Brewery diversifie ses sources de financement afin de bâtir des logements sociaux adaptés aux besoins des personnes en situation d’itinérance. « Cela implique d’aller chercher des sources de financement privées. Il y a les communautés religieuses qui participent au financement de différents projets. Il y a aussi des fondations et même des individus qui font des dons substantiels. Old Brewery a décidé de devenir propriétaire de ses propres unités. Nous avons maintenant plusieurs immeubles », lance fièrement Marie-Pier Therrien.
Assis dans son minuscule bureau de l’École de travail social de l’UQAM, le professeur Louis Gaudreau, ancien militant au sein de groupes de défense des droits des locataires, suggère de faire pression sur les syndicats qui investissent dans des projets de logements luxueux. « Je pense que la question des syndicats est une avenue intéressante pour les syndiqués qui veulent faire bouger les choses. Ils peuvent se regrouper pour leur suggérer de retirer leurs investissements dans des projets de logements qui ne servent pas à loger ceux qui en ont le plus besoin. Ils pourraient aussi leur demander de se faire entendre au sujet de la crise actuelle. »
« Le logement est un droit, pas une marchandise! C’est un besoin essentiel ! », rappelle très justement Sonia Côté avant de retrouver les membres de Loge m’entraide avec qui elle fait avancer la justice, une coopérative à la fois.