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WILLIAM BEAUDOIN

« La mort nous enseigne à mieux vivre »

ENTREVUE par Stéphane Gaudet

          AVRIL 2023

PHOTOS : STÉPHANE GAUDET

« Je suis travailleur social de formation et coordonnateur du centre de jour en soins palliatifs à la Maison Victor‐Gadbois, à Saint‐Mathieu-de‐Beloeil. Je travaille avec des gens qui demeurent encore chez eux mais viennent une journée par semaine pour recevoir des soins physiques, psychologiques, sociaux et spirituels. »

Les soins palliatifs sont ceux qu’on offre aux personnes en fin de vie, n’est‐ce pas ?

Les soins palliatifs, ce n’est pas seulement pour les mourants. À la Maison Victor-Gadbois, il y a une section pour les soins de fin de vie, qui font partie des soins palliatifs, mais il y a aussi la section des soins palliatifs précoces qu’on appelle le centre de jour, où je travaille. Il existe depuis sept ans. Les gens, de nos jours, peuvent vivre très longtemps en soins palliatifs. Moi, j’accompagne des gens qui viennent toutes les semaines depuis quatre, cinq ou six ans. La première patiente du centre de jour est toujours parmi nous !

À Victor-Gadbois, nous nous occupons uniquement des personnes atteintes du cancer. Un cancer palliatif, c’est un cancer dont, techniquement, la personne ne guérira pas. Je dis techniquement parce qu’en sept ans, on a vu de petits miracles, des gens qui sont en rémission d’un cancer qu’on avait dit palliatif. Ça reste une minorité, mais avec la science, avec l’aide du bon Dieu, les traitements qui s’améliorent, certaines personnes déjouent les pronostics. Généralement, la majorité de notre clientèle au centre de jour reste avec nous entre un et deux ans avant d’aller à l’unité des soins de fin de vie où là, la moyenne est d’une vingtaine de jours.

La mission première du centre de jour est de créer une communauté de gens qui se côtoient de semaine en semaine. Des communautés bienveillantes pour briser l’isolement, car il s’agit de gens en général très isolés. Leurs seules sorties, c’est d’aller à l’hôpital, à leurs rendez-vous médicaux. Avec une communauté bienveillante, les gens sont contents de se revoir, tissent des amitiés, et ce tant pour les malades que pour leur proche aidant. Au quotidien, j’anime des groupes de soutien et je fais des rencontres individuelles avec des malades et des proches aidants.

Votre foi chrétienne, elle vous vient d’où ?

Assurément pas de ma famille. J’ai été baptisé et ça s’est arrêté là. Je viens tout juste de recevoir ma confirmation, il y a quelques mois. C’est plus dans mes lectures et mes rencontres avec de belles personnes inspirantes, au fil du temps, de tous les courants religieux et spirituels. J’ai lu beaucoup de choses, et à un moment donné, je me suis dit qu’au fond, les messages se ressemblent, avec des mots différents. L’amour, l’entraide, la fraternité, l’humilité, rendre grâce, essayer d’être un bel et bon être humain…

Un jour, j’ai décidé non pas de me restreindre à la religion catholique, mais de l’utiliser pour aider les gens que je rencontre et pour m’aider moi-même dans cette vie qui est la mienne. François Varillon a écrit quelque chose comme « la raison pour laquelle je suis chrétien, c’est que Jésus m’enseigne le mieux la liberté spirituelle ». Ce que Varillon me disait, c’est que ce chemin est bon et beau pour lui, et que tant qu’il répondra le mieux à cette liberté spirituelle, ce sera celui-là. Si un jour, un autre prophète, une autre religion voit le jour et me parle davantage, je serai ouvert à la visiter.

Qu’est‐ce que la dignité en fin de vie ?

L’erreur, c’est de penser que la dignité, c’est l’aide médicale à mourir (AMM). Là où je travaille, on ne pratique pas l’AMM. De plus en plus de maisons de soins palliatifs l’offrent, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Pour moi, mourir dans la dignité, c’est mourir comme on le veut bien, d’une manière qui nous ressemble. J’accompagne des gens qui demandent l’AMM, ça leur ressemble de choisir le moment de leur mort, d’organiser les choses, d’être en pleine possession de leurs moyens jusqu’à la fin. D’autres laissent plutôt la maladie gagner du terrain en eux, en l’accueillant avec humilité et en n’offrant que très peu de résistance.

Les personnes qui meurent de façon naturelle en perdant leurs capacités ne sont donc pas moins dignes.

Tellement pas. Au contraire, il faut être habité pour bien vivre cette étape-là. Que c’est beau de voir quelqu’un qui se laisse faire, au sens noble du terme, par des gens dont c’est la mission de prendre soin. Ce n’est pas le lâcher-prise, c’est beaucoup plus grand. C’est de l’ordre de l’abandon. Toute la beauté se trouve dans ces moments où le corps lâche complètement, et ce qui reste, c’est la vie.

William Beaudoin lors de la conférence « Accompagner l’espérance » pendant le Festival de l’Assomption 2022. 

Les personnes en fin de vie ont‐elles une sagesse particulière ?

Moi d’abord, je suis allé en soins palliatifs très égoïstement pour ça, pour avoir accès à cette sagesse-là. Je me suis trompé. J’idéalisais beaucoup la fin de vie, ce moment où les gens, pensais-je, sont touchés par la grâce de Dieu et connaissent la vie, la mort. J’étais jeune et naïf. Ce sont des êtres humains comme vous et moi.

Mais, assurément, la maladie, la fin de vie, la déchéance, la vulnérabilité, la fragilité ouvrent sur quelque chose d’autre. C’est ce quelque chose d’autre qui m’intéresse, que je veux accompagner et dont je veux être témoin. On peut l’appeler sagesse, connaissance… Il n’y a pas une semaine où je n’entends pas quelqu’un me dire que « la maladie est la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie ». Avec cette maladie qui évolue, et pour laquelle on a du temps – on peut vivre des années avec un cancer palliatif –, ces personnes me disent que quand la maladie est arrivée, elles ont fait du ménage dans leurs relations. Elles ont quitté un emploi qu’elles n’aimaient pas. Elles ont développé des relations plus intimes avec leur entourage. Quelque chose de plus profond émerge et le temps ralentit. La maladie enlève les identifications. Toute notre vie, on s’identifie à son métier, à son rôle (père/mère, mari/ épouse). La maladie détruit ces identifications et nous ramène à l’être. Ce qui est beau pour l’intervenant que je suis, c’est de partir à la découverte de qui cette personne est vraiment, hors de son occupation ou de son rôle. Mais ce n’est pas vrai, comme on voit dans les films, que tout le monde en fin de vie détient LA sagesse. Des gens décèdent de façon très sobre, sans avoir eu d’extase.

Pourquoi a‐t‐on autant de difficulté de nos jours avec la mort ?

Il n’y a pas une journée où je ne pense pas à ma propre mort et à celle des gens que j’aime. Ce n’est pas malsain; au contraire, ça m’aide à mieux vivre, à mieux orienter mes décisions au quotidien, à être plus présent dans ce que je fais. Le message que je lance, c’est d’y penser, à la mort, le plus souvent possible. Ce n’est pas très sexy ni populaire comme message, mais je crois sincèrement que la mort nous enseigne à mieux vivre.

Un moine que j’aime beaucoup, David Steindl-Rast, dit qu’au fond, c’est très simple; le conseil d’une vie, c’est ce qu’on enseigne aux enfants avant de traverser la rue : s’arrêter, regarder des deux côtés, avancer. Cette simple consigne peut nous sauver. Ralentir, regarder vraiment ce qui se passe, observer quelle voie je suis, et y aller. J’ai l’impression qu’on ne s’arrête pas assez, et que c’est pour ça qu’on a peur de la mort.

Les non‐croyants ont‐ils plus de difficulté à mourir, les croyants meurent‐ils plus volontiers ?

Il faut faire attention de ne pas généraliser. J’observe que les gens qui croient en quelque chose sont souvent curieux, un peu moins apeurés et ont une forme de douce sérénité. Pas tous les croyants, bien entendu. Encore aujourd’hui, j’animais un groupe de soutien, et la personne la plus anxieuse du groupe à l’idée de mourir est justement celle qui pense qu’après la mort, la lumière s’éteint et tout est terminé. Et il y a quelques mois, j’ai accompagné quelqu’un qui a cette même croyance; pour cette personne, au contraire, le fait de savoir qu’il n’y a rien après la stimulait à vivre intensément.

Moi, je ne crois pas que tout s’arrête avec la mort, j’ai de la peine pour les gens qui croient cela. J’ai de l’empathie, je prie pour eux, leur envoie tout l’amour du monde, et j’espère qu’ils feront cette rencontre. Avec Jésus, Dieu, Allah, Bouddha, peu importe, avec l’Invisible, pour apaiser ce temps qui leur reste.

Un mot de la fin?

J’ai envie de citer votre éditorial d’avril 2022: « La vie, la vraie, n’est pas tuable. » Je trouve que cette phrase résume tout notre entretien d’aujourd’hui. C’est la définition même, selon moi, de l’accompagnement en soins palliatifs que je fais au quotidien. On touche à quelque chose d’éternel dans la présence à l’autre. Ça peut se vivre partout, comme quand vous faites une entrevue. Ce moment d’éternité, où le temps s’arrête, où l’Amour est présent. La beauté se trouve dans la totale présence à la Présence.

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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