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La solitude et l’isolement – Des drames vécus derrière des portes closes

REPORTAGE par Yves Casgrain

          AVRIL 2023

PHOTO : ISTOCK PHOTO

En 2019, l’Institut Angus Reid a sondé en ligne 2055 adultes canadiens afin de savoir quels étaient l’état et la qualité de leur relation avec leur entourage. Résultats ? 23 % des Canadiens sont des « personnes affligées », c’est‐à‐dire des personnes qui souffrent de la solitude et de l’isolement social. Une réalité méconnue.

La solitude est en vogue en Occident. Des études démontrent que de plus en plus de personnes vivent seules. Dans une entrevue diffusée en 2019 sur les ondes de Radio-Canada, la sociologue Cécile Van de Velde, professeure à l’Université de Montréal, affirme « que la solitude augmente et c’est une tendance mondiale. Pas seulement chez les aînés, mais également chez les adolescents et les jeunes adultes. »

Si pour plusieurs cette forme de vie est un choix délibéré, pour d’autres la solitude est une compagne non désirée.

Un phénomène historique

La sociologue Marie-Chantal Doucet, professeure à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, souligne en entrevue à Notre-Dame-du-Cap « qu’être seul n’est pas forcément une mauvaise chose. C’est un phénomène social, un phénomène historique qui peut générer des problèmes éventuellement ».

Pour elle, la solitude entraîne des problèmes sociaux lorsqu’elle est accompagnée par de l’isolement. Une personne seule qui ne possède pas un réseau social développé est donc plus susceptible de souffrir de solitude chronique.

Ce cocktail peut produire des effets délétères sur la santé comme l’indique Andrée-Anne Cormier, professeure au département de philosophie de l’Université York. Dans un texte publié sur le site La Conversation destiné aux chercheurs, l’universitaire écrit : « L’isolement social et la solitude chronique […] ont des répercussions dévastatrices sur le bien-être et la santé physique et mentale, pouvant aller jusqu’à entraîner la mort. »

Devant l’augmentation du nombre de citoyens affectés négativement par la solitude, les chercheurs proposent des explications. Marie-Chantal Doucet avance que le fait que la famille et la vie communautaire soient moins présentes aujourd’hui qu’à l’époque de nos grands-parents peut influer sur les statistiques.

« Tu naissais dans des communautés. Tu n’avais pas tellement d’efforts à faire pour rencontrer des gens. Aujourd’hui, c’est à l’individu lui-même de faire les liens. Les personnes qui ont des problèmes de santé mentale importants ne sont pas outillées. Malheureusement, les ressources ne sont pas distribuées également, mais on demande à tout le monde la même chose. » Selon elle, il y aurait aujourd’hui «une sorte d’injonction. Tu dois te prendre en main toi-même. Tu dois favoriser ta propre autonomie. »

Pour contrer cette injonction, des citoyens proposent donc de retisser les liens entre les gens et les communautés. C’est aussi le cas de catholiques émus par la solitude et l’isolement vécu par de plus en plus de personnes.

Marie‐Chantal Doucet : « Tu naissais dans des communautés. Aujourd’hui, c’est à l’individu lui‐même de faire les liens. »

Marie‐Chantal Doucet : « Tu naissais dans des communautés. Aujourd’hui, c’est à l’individu lui‐même de faire les liens. »

PHOTO : YVES CASGRAIN

Lieu d’accueil inconditionnel

Fondée à Granby en 2012 par le curé Serge Pelletier et madame Claudette Nadeau, la première Halte Saint-Joseph est née d’un rêve commun: créer un lieu d’accueil inconditionnel pour ceux et celles qui ne fréquentaient plus l’église, surtout les plus démunis.

Dix ans plus tard, nous retrouvons six Haltes au Québec et trois au Congo. Toutes gérées par des bénévoles, considérés comme des missionnaires, elles ont adopté la spiritualité du bon Samaritain.

« La spiritualité du bon Samaritain, c’est de s’arrêter sur le chemin et soutenir ceux qui en ressentent le besoin, précise Serge Pelletier. Lorsqu’ils franchissent la porte d’une Halte, ils reçoivent un accueil inconditionnel. On ne leur demande rien. On leur dit : “On veut juste savoir ton prénom.” Et pas question de faire du prosélytisme ! »

Selon lui, les habitués des Haltes viennent avec leur histoire personnelle. « Ceux qui fréquentent les Haltes ont entre 17 et 95 ans. Ce sont des motards autant que de grands-mamans, de jeunes mères de famille, des personnes sur l’aide sociale. Ce sont des évangiles ouverts ! » La caractéristique commune est la solitude. « C’est énorme! On ne peut pas imaginer la solitude des gens. On le constate dans toutes les Haltes. »

Serge Pelletier est d’avis que plus le virtuel va prendre de l’ampleur dans la société, plus la «présence réelle auprès des gens devrait être la mission de l’Église».

Un service d’accompagnement spirituel

Derrière l’acronyme SASMAD se cache une équipe dévouée entièrement à visiter les personnes aux prises avec une maladie qui les empêche bien souvent de sortir de leur appartement ou de leur maison. Certaines personnes visitées sont seules. D’autres ont un réseau qui n’est pas en mesure de les aider. «Nous ne sommes pas catégoriques. Nous pouvons être isolés, même bien entourés!», lance Maria-Régina Mélo, coordinatrice du secteur ouest du SASMAD.

Le Service d’accompagnement spirituel auprès des malades et des personnes âgées à domicile (SASMAD) a été fondé en 1992 par sœur Madeleine Saint-Michel, religieuse Hospitalière de Saint-Joseph. Elle avait remarqué que la réforme du système de santé qui s’opérait alors laissait de côté l’accompagnement individuel et spirituel.

« Nous accompagnons spirituellement, au sens très large, tout ce qui donne vie et que la personne veut bien nous partager. Pour pouvoir répondre aux besoins de ceux que nous visitons, nous nous ajustons. Il y a autant d’accompagnements que de personnes. »

Le SASMAD, avec ses 300 bénévoles qui visitent 500 bénéficiaires dans le diocèse de Montréal, est animé par la parole de Jésus: « J’étais malade et vous m’avez visité » (Matthieu 25,36b).

«Vous savez, lorsque nous entrons dans le domicile d’un bénéficiaire, nous entrons dans une chapelle. Pour nous, il devient notre chapelle», me souffle Maria-Régina Mélo. La relation entre le visiteur et le bénéficiaire peut s’étendre sur une très longue période. « Imaginez, il y a des bénévoles qui accompagnent depuis cinq ans, huit ans la même personne! Nous entrons dans l’histoire sacrée des bénéficiaires. »

Les Haltes Saint-Joseph et le SASMAD sont des espaces de vie où le vide intérieur ressenti par un nombre toujours grandissant de personnes sur qui pèse le poids de la solitude se remplit d’amour, de joie et de liens fraternels. Ils sont comme une manière de concrétiser, ici sur terre, la communion des saints.

Sylvie Lajoie,

de la solitude à la plénitude

Roselyne Bouchard accompagne
Sylvie Lajoie depuis 6 ans.

Roselyne Bouchard accompagne
Sylvie Lajoie depuis 6 ans.

PHOTO : YVES CASGRAIN

Il fait un froid polaire lorsque je pars à la rencontre de Sylvie Lajoie, paraplégique. « Vous verrez, c’est une belle personne ! », m’avait dit deux jours auparavant Roselyne Bouchard, bénévole au SASMAD. Sylvie habite dans un CHSLD situé près du quartier chinois de Montréal. Ce qui me frappe lorsque j’entre dans sa chambre, c’est sa luminosité. En fait, elle est presque aussi intense que celle qui émane du visage de mon hôte.

« Voulez‐vous un café ? », me demande Roselyne qui accompagne Sylvie depuis six ans. « Je l’ai connue quand elle habitait encore dans le même immeuble que moi. Je ne me doutais pas qu’un jour j’allais être son accompagnatrice. C’est le SASMAD qui nous a mis en relation. J’ai hésité un peu avant d’accepter. Elle était trop près de moi. Puis, j’ai dit oui. »

« Je suis vraiment contente de l’avoir rencontrée », lance Sylvie. Les deux comparses se regardent avec beaucoup de tendresse et de respect.

Au moment où elle fait la connaissance de Roselyne, Sylvie est au plus bas. Elle qui a toujours été très active malgré son handicap se retrouve seule dans un appartement inadapté à sa situation. « Vous savez, j’ai été bénévole dans un bureau plusieurs années. J’ai même joué aux quilles ! » Ses parents l’ont toujours soutenue. « Je suis resté chez mes parents 50 ans. Mon père me faisait faire de la bicyclette chaque soir en revenant du travail. »

Puis, un jour, elle veut faire l’expérience de la vie en appartement. Elle goûte à la liberté pour la toute première fois. Cependant, elle se sent seule, désespérément seule. « Lorsque je fermais la porte de mon appartement, il n’y avait plus personne. » La nuit, elle angoissait. « Je me demandais ce qui allait m’arriver si je tombais malade. Le jour, j’avais de plus en plus de mal à me faire à manger », se rappelle‐t‐elle.

Sa rencontre avec Roselyne a tout changé. Tous deux très croyantes, elles prient, discutent, lisent, partagent de bons repas. Avec le temps, une réelle et profonde amitié s’est bâtie. Au point que toutes deux avouent s’aider mutuellement.

Aux lecteurs de Notre‐Dame‐du‐Cap qui éprouvent de la solitude, elle lance : « Faites confiance à Dieu. Il est toujours là pour nous aider ! » Une belle personne ? Assurément !

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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