FRANÇOIS DOMPIERRE
La source vive de la création
ENTREVUE par Claudette Lambert
SEPTEMBRE 2023
François Dompierre est l’un des plus importants compositeurs du Québec. Musique de concert, musique de films, musique religieuse, il a touché à tout. Il a même été directeur musical pour Le Jour du Seigneur à Radio‐Canada. À l’aube de ses 80 ans, il pose un regard sur la source vive qui a toujours nourri sa création musicale.
Très jeune, vous avez été séduit par l’orgue. Comment cela est‐il arrivé ?
À Hull, nous demeurions à quelques maisons de l’église. Mon père était maître de chapelle et ma grand-tante jouait de l’orgue pour une chorale. À l’âge de trois ou quatre ans, on m’emmenait à l’église, et l’orgue impressionnait beaucoup le petit bonhomme que j’étais, à cause de la dimension, de la sonorité, de la puissance de l’instrument. On me faisait jouer de l’orgue juste pour m’amuser et très rapidement, on s’est aperçu que j’avais du talent pour la musique. Dès l’âge de 11 ans, j’ai pris des cours d’orgue et l’approche de cet instrument m’a inculqué une sorte de discipline.
L’orgue est généralement associé à la liturgie. Pour interpréter cette musique religieuse, il vous fallait entrer dans la sphère du sacré.
Nous étions très proches de la liturgie, mais ça ne faisait pas de nous des grenouilles de bénitier. Mes parents étaient croyants, mais aussi très critiques. Mon père était un chrétien de gauche qui remettait en question bien des choses, ma mère était une intellectuelle et ça ne les gênait pas de discuter avec la hiérarchie religieuse.
De plus, mes parents faisaient partie d’une chorale presque professionnelle, le Chœur Palestrina à Ottawa, dirigé par le père Martel, un oblat qui avait étudié à Rome et obtenu un doctorat en grégorien. Une sommité dans le domaine ! Mes parents m’emmenaient aux répétitions, ce qui m’a beaucoup rapproché de la musique religieuse. J’étais fasciné par cette musique de la Renaissance, je trouvais ça très beau. À l’âge de 12 ans déjà, j’étais organiste remplaçant dans les paroisses. J’étais donc un organiste « pratiquant » !
Dans votre livre Amours, délices et orgues, vous racontez qu’il vous est arrivé d’improviser à l’église à la manière de Bach. C’était bien malin de votre part…
Je me levais parfois un peu tard le dimanche matin et je chantais en grégorien le commun de la messe que tout le monde connaissait. Mais pour le propre de la messe, j’ouvrais mon livre et comme je ne savais pas tellement bien lire le grégorien, j’improvisais et mon curé ne savait absolument pas faire la différence. Un jour, un bénédictin qui connaissait très bien le grégorien était là comme invité. Il m’a fait venir après la messe pour me dire que j’étais un petit coquin…
Vous n’êtes pas pratiquant, mais vous dites avoir toujours eu la fibre mystique.
Je ne suis pas un philosophe mystique, mais je crois à des choses. Comme je le disais à mon fils Fred dans le film Allegro ma non troppo qu’il a fait sur ma carrière: je ne peux pas croire qu’il n’y ait rien qui sous-tende ce grand mouvement de la vie. Mais quoi? Je n’ai jamais perdu la foi du charbonnier, j’ai une attitude positive vis-à-vis ce grand mouvement dont je fais partie. Il y a du rythme dans la nature, un oscillement depuis le début des temps et Dieu serait peut-être ce mouvement-là… Ce mystère m’intéresse. J’ai toujours été attiré par la magie de la liturgie. L’encens a imprégné mon petit monde d’enfant, d’autant plus que pour mes parents, tout ce qui avait rapport à la religion était quelque chose de positif. Je me souviens que très jeune, on chantait les célébrations du Vendredi saint avec beaucoup de plaisir. Ce n’était pas une obligation.
En ce moment, vous travaillez justement à l’écriture d’un requiem.
Quand on a 80 ans, une demande de requiem, ça porte à réfléchir… J’écris ce requiem en restant très proche du texte. Beaucoup de compositeurs du temps passé mettaient une musique joyeuse sur le Kyrie. Moi, j’ai fait une complainte, car le texte dit « Prends pitié ». L’inspiration de ce requiem, c’est l’interrogation. Qui sommes-nous, où allons-nous, que valons-nous, pourquoi tout ça ? J’ai des thèmes pour le Libera, le Dies irae, l’In paradisum, environ une dizaine de textes pour constituer un requiem d’une quarantaine de minutes. Au lieu de composer quelque chose de tendre ou de larmoyant pour l’In paradisum, je veux une chanson joyeuse. Je ne suis pas nécessairement les courants de la musique religieuse d’époque.
La musique religieuse semble avoir une grande efficacité pour ouvrir l’âme.
La musique en général est un stimulus qui ouvre le cœur et agit directement sur le cerveau. Et je crois que c’est pour ça que la musique a été associée à la pratique religieuse : elle porte à la réflexion, elle amène la pensée ailleurs. La musique a été employée à l’église dans le monde catholique, mais aussi chez les bouddhistes, les musulmans, les juifs. La musique grecque, qui est l’ancêtre de la musique grégorienne, a été utilisée dans les temples. Les premières musiques qui ont été utilisées au théâtre venaient directement de la musique religieuse.
Après Vatican II, on a fait entrer les guitares dans les églises avec des chansons très populaires. Ce n’était plus du latin et les gens comprenaient ce qu’ils chantaient. Était‐ce aussi efficace pour favoriser le recueillement ?
À mon avis, on a complètement manqué le bateau. C’était une fausse bonne idée d’avoir tenté d’expliquer le mystère de la religion en employant des artifices modernes. La religion, c’est un mystère et le grégorien, c’était le mystère. Les gens retournent dans les monastères pour entendre le grégorien. Je ne suis pas du tout un chrétien intégriste, mais je pense qu’on aurait dû conserver toute la grandeur et la beauté de ce mystère-là.
Très jeune, vous avez été séduit par l’orgue. Comment cela est‐il arrivé ?
À Hull, nous demeurions à quelques maisons de l’église. Mon père était maître de chapelle et ma grand-tante jouait de l’orgue pour une chorale. À l’âge de trois ou quatre ans, on m’emmenait à l’église, et l’orgue impressionnait beaucoup le petit bonhomme que j’étais, à cause de la dimension, de la sonorité, de la puissance de l’instrument. On me faisait jouer de l’orgue juste pour m’amuser et très rapidement, on s’est aperçu que j’avais du talent pour la musique. Dès l’âge de 11 ans, j’ai pris des cours d’orgue et l’approche de cet instrument m’a inculqué une sorte de discipline.
L’orgue est généralement associé à la liturgie. Pour interpréter cette musique religieuse, il vous fallait entrer dans la sphère du sacré.
Nous étions très proches de la liturgie, mais ça ne faisait pas de nous des grenouilles de bénitier. Mes parents étaient croyants, mais aussi très critiques. Mon père était un chrétien de gauche qui remettait en question bien des choses, ma mère était une intellectuelle et ça ne les gênait pas de discuter avec la hiérarchie religieuse.
De plus, mes parents faisaient partie d’une chorale presque professionnelle, le Chœur Palestrina à Ottawa, dirigé par le père Martel, un oblat qui avait étudié à Rome et obtenu un doctorat en grégorien. Une sommité dans le domaine ! Mes parents m’emmenaient aux répétitions, ce qui m’a beaucoup rapproché de la musique religieuse. J’étais fasciné par cette musique de la Renaissance, je trouvais ça très beau. À l’âge de 12 ans déjà, j’étais organiste remplaçant dans les paroisses. J’étais donc un organiste « pratiquant » !
Dans votre livre Amours, délices et orgues, vous racontez qu’il vous est arrivé d’improviser à l’église à la manière de Bach. C’était bien malin de votre part…
Je me levais parfois un peu tard le dimanche matin et je chantais en grégorien le commun de la messe que tout le monde connaissait. Mais pour le propre de la messe, j’ouvrais mon livre et comme je ne savais pas tellement bien lire le grégorien, j’improvisais et mon curé ne savait absolument pas faire la différence. Un jour, un bénédictin qui connaissait très bien le grégorien était là comme invité. Il m’a fait venir après la messe pour me dire que j’étais un petit coquin…
Vous n’êtes pas pratiquant, mais vous dites avoir toujours eu la fibre mystique.
Je ne suis pas un philosophe mystique, mais je crois à des choses. Comme je le disais à mon fils Fred dans le film Allegro ma non troppo qu’il a fait sur ma carrière: je ne peux pas croire qu’il n’y ait rien qui sous-tende ce grand mouvement de la vie. Mais quoi? Je n’ai jamais perdu la foi du charbonnier, j’ai une attitude positive vis-à-vis ce grand mouvement dont je fais partie. Il y a du rythme dans la nature, un oscillement depuis le début des temps et Dieu serait peut-être ce mouvement-là… Ce mystère m’intéresse. J’ai toujours été attiré par la magie de la liturgie. L’encens a imprégné mon petit monde d’enfant, d’autant plus que pour mes parents, tout ce qui avait rapport à la religion était quelque chose de positif. Je me souviens que très jeune, on chantait les célébrations du Vendredi saint avec beaucoup de plaisir. Ce n’était pas une obligation.
En ce moment, vous travaillez justement à l’écriture d’un requiem.
Quand on a 80 ans, une demande de requiem, ça porte à réfléchir… J’écris ce requiem en restant très proche du texte. Beaucoup de compositeurs du temps passé mettaient une musique joyeuse sur le Kyrie. Moi, j’ai fait une complainte, car le texte dit « Prends pitié ». L’inspiration de ce requiem, c’est l’interrogation. Qui sommes-nous, où allons-nous, que valons-nous, pourquoi tout ça ? J’ai des thèmes pour le Libera, le Dies irae, l’In paradisum, environ une dizaine de textes pour constituer un requiem d’une quarantaine de minutes. Au lieu de composer quelque chose de tendre ou de larmoyant pour l’In paradisum, je veux une chanson joyeuse. Je ne suis pas nécessairement les courants de la musique religieuse d’époque.
La musique religieuse semble avoir une grande efficacité pour ouvrir l’âme.
La musique en général est un stimulus qui ouvre le cœur et agit directement sur le cerveau. Et je crois que c’est pour ça que la musique a été associée à la pratique religieuse : elle porte à la réflexion, elle amène la pensée ailleurs. La musique a été employée à l’église dans le monde catholique, mais aussi chez les bouddhistes, les musulmans, les juifs. La musique grecque, qui est l’ancêtre de la musique grégorienne, a été utilisée dans les temples. Les premières musiques qui ont été utilisées au théâtre venaient directement de la musique religieuse.
Après Vatican II, on a fait entrer les guitares dans les églises avec des chansons très populaires. Ce n’était plus du latin et les gens comprenaient ce qu’ils chantaient. Était‐ce aussi efficace pour favoriser le recueillement ?
À mon avis, on a complètement manqué le bateau. C’était une fausse bonne idée d’avoir tenté d’expliquer le mystère de la religion en employant des artifices modernes. La religion, c’est un mystère et le grégorien, c’était le mystère. Les gens retournent dans les monastères pour entendre le grégorien. Je ne suis pas du tout un chrétien intégriste, mais je pense qu’on aurait dû conserver toute la grandeur et la beauté de ce mystère-là.
« Quand on entre dans la musique, on entre dans un ailleurs qu’on n’arrive pas à nommer. »
Vous avez côtoyé des gens remarquables, je pense à Jacques Brel, Félix Leclerc et plusieurs autres. Au plan humain, que vous ont‐ils laissé ?
Félix Leclerc m’a transmis une certaine philosophie de la vie. C’était un chêne, enraciné dans la nature. Je suis devenu quelqu’un qui réfléchit plus qu’il ne consomme. Denys Arcand, mon ami, m’a beaucoup influencé par sa façon de voir la vie. Je me souviens avec plaisir du cinéaste Jacques Godbout, de sa capacité extraordinaire d’analyse et de synthèse. Oui, il gueule contre les Jésuites, mais il leur doit beaucoup. La plupart des gens de ma génération que j’admire ont été des élèves des Jésuites. Moi, je suis un autodidacte, j’ai fait mon bac de peine et de misère à Ottawa et je n’ai pas eu la chance d’être éduqué par eux. Mais j’aurais bien aimé!
Vous avez fait une dépression profonde qui a changé complètement le cours de votre vie.
En mieux! À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de médicaments. Je l’ai fait à la dure, avec un psychiatre qui connaissait son affaire. Ça a été une période très dure dans ma vie, mais que je ne regrette pas. Je me suis mis à revivre à partir de cette épreuve qui a façonné ce que je suis, et pour le mieux évidemment !
Vous semblez avoir navigué à l’aise dans tous les styles de musique, qu’elle soit au service de la chanson, d’un film, d’un message publicitaire ou d’une œuvre de concert. La source vive de votre création est‐elle toujours la même ?
Quand on entre dans la musique, on entre dans un ailleurs qu’on n’arrive pas à nommer. La musique est une expression un peu mystique, indicible. On a du mal à expliquer le phénomène de la musique, on ne peut pas dire pourquoi c’est beau. La musique commence là où l’analyse finit. Pour moi, c’est ce qui rapproche la musique du mysticisme et qui la rend si propice à exprimer l’idée de Dieu, une notion abstraite, personnelle, qui ne peut s’exprimer que par l’inexprimable. La musique est un langage qui peut s’apprendre, mais on ne s’explique pas la source de ça.
Vous avez eu 80 ans le 1er juillet. Le fil raccourcit, il y a des échéances qui se rapprochent. Comment vous sentez‐vous ?
Je suis un optimiste, je suis quelqu’un qui regarde en avant. J’ai la chance d’avoir une bonne santé physique et une bonne santé cognitive, donc j’agis exactement comme quand j’avais 40 ans. Si ça continue, ma vie aura été belle d’un bout à l’autre, avec quelques accidents de parcours, sinon, je suis quelqu’un de plutôt heureux. Mais quand j’écris un requiem, ça me laisse songeur…