L’amitié au-delà des siècles
PERLES DE VIE par Céline Tessier
JANVIER-FÉVRIER 2023
Ma mère fut la première à me conscientiser à la beauté, à la profondeur et à la richesse de l’amitié. J’étais encore une toute petite fille. Au cours de la journée, je la suivais dans l’accomplissement de ses tâches à la maison et, bien sûr, je rêvais de l’école, de connaître enfin ce monde dont j’ignorais alors les sources de joie mais aussi de labeur ! J’avais très hâte de rencontrer mes futures amies et je croyais, bien naïvement, que cela se ferait tout naturellement.
Déjà ma mère me parlait très souvent de son amitié indéfectible envers Isabelle, dont le seul nom me ravissait à cette époque; j’aimais ce prénom si doux, si précieux pour ma mère. Il évoquait la bienveillance. Elle le prononçait tout doucement comme pour ne pas trop le partager, car son Isabelle était son amie à ELLE, sa seule, si précieuse à son cœur.
L’école du rang
Ma mère était issue d’un milieu plutôt modeste tandis que la belle Isabelle était née d’une famille très riche, ce que l’on surnommait à l’époque : les nobles.
Un tout petit village, Saint-Thuribe dans le comté de Portneuf, au-delà des terres, abritait nos deux amies avant leurs mariages respectifs. Dès l’âge de six ans, elles parcouraient des kilomètres pour se rendre à l’école primaire. Maman me disait : trois milles à pied, c’est long ma petite fille, mais ils paraissaient bien peu pour elle grâce au bonheur de les partager avec Isabelle.
Des bourrasques l’hiver, des pluies abondantes et des tempêtes les propulsaient telles des poupées vers la petite école du rang d’où, sur le chemin de campagne, s’élevait la fumée de la cheminée. Maman disait parfois à son amie que le froid était trop glacial pour ses petites mains, nichées dans de jolis gants de laine tricotés par sa mère. Pour sa part, Isabelle portait des gants doublés d’une fourrure que son père avait acquise d’un chasseur de la région. Son papa à elle était le beurrier du village, un agriculteur prospère, le plus riche du village qui pouvait bien sûr se permettre d’offrir tant de trésors.
Le jour où ma mère sentit au fond de son cœur que son amitié serait teintée de fidélité, d’amour et d’infinie tendresse envers sa petite compagne de route fut ce moment très précis où Isabelle, d’un geste généreux et naturel, lui offrit d’échanger ses mitaines de fourrure contre celles de maman afin de poursuivre la route et de ne plus sentir le froid.
Au fond de nos cœurs
Cette amitié fut celle de toute une vie. Maman quitta ce monde la première et Isabelle, l’année suivante, après 80 ans d’amitié, d’amour, d’épreuves et de joies partagées. Que cette richesse de l’amitié demeure une valeur profondément ancrée tout comme un phare scintillant au fond de nos cœurs d’humains.