Le coût de la vie
À CONTRE-TEMPS par Vincent Painchaud
MAI 2023

Alors que de nouveaux projets de loi élargissant l’accès à l’aide médicale à mourir (AMM) émergent sur la scène politique, tant les défenseurs que les adversaires de l’AMM revendiquent la notion de « dignité » pour appuyer leurs positions. Loin d’une simple guerre de mots, le sens que l’on donne à ces derniers témoigne du sens que nous donnons, plus radicalement, à notre existence.
L’offre et la demande
Un discours récurrent se fait entendre dans les CHSLD, où des gens aux mains gercées par des décennies de travail assidu disent que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue, parce qu’ils « ne servent plus à rien ». La logique de notre système économique déteint ainsi sur nos considérations existentielles, suggérant que le travail est la mesure de la valeur d’un individu, que celui-ci ne mérite plus de vivre sitôt qu’il cesse d’être utile, a fortiori s’il devient en plus une charge pour la société et ses proches.
De même, nous entrevoyons la vie à travers le spectre du consumérisme sitôt que la valeur de la vie dépend de notre capacité à en profiter. Comme s’il s’agissait d’une possession dont on peut se débarrasser parce qu’elle est irréparablement maganée par l’usage, on parle de se départir de la vie lorsque le confort ou l’autonomie d’un individu est compromis par l’âge ou la maladie. Est-ce que le sens que nous donnons à notre existence réside dans notre capacité à marcher, à manger ou à éliminer sans aide, ou dépend-il d’un paramètre plus fondamental ?
À quel prix ?
La notion de dignité, telle que comprise dans la tradition chrétienne, trouve sa première énonciation chez Léon le Grand, au 5e siècle : « Reconnais, ô chrétien, ta dignité […] après avoir été fait participant de la nature divine… » Sans nécessairement être encombrée de catégories théologiques, la dignité se réfère à la valeur intrinsèque et incommensurable de tout être humain, qu’il soit riche ou pauvre, jeune ou vieux, malade ou bien portant. On peut être face à des conditions qui ne respectent pas notre dignité, mais on ne peut en aucun cas diminuer, altérer ou perdre cette valeur.
Faut-il, dès lors, décider de vivre à tout prix ? Sans répondre, j’invite plutôt le lecteur à discerner avec humilité s’il peut mesurer la valeur de sa propre personne, s’il peut déterminer de quoi elle dépend et s’il en est redevable à quelqu’un d’autre. Aidons-nous de Paul, qui nous rappelle que « vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes, car vous avez été achetés à grand prix » (1 Corinthiens 6,19-20), alors que Jésus nous dit ailleurs : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jean 15,13).