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Le dynamisme virtuel de l’Église confinée

REPORTAGE par Philippe Vaillancourt | Présence – information religieuse

          JUILLET-AOÛT 2020

PHOTO: CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE

Chaque semaine, ils sont des milliers à se donner rendez‐vous sur Facebook pour assister à un événement d’un calme inhabituel : fixer un ostensoir parfaitement immobile. L’idée est venue de l’abbé Charles Vallières, un prêtre de Magog, qui voulait offrir «quelque chose de différent» que des messes webdiffusées pendant la pandémie de COVID‐19 qui empêchait les rassemblements dans les églises.

Cette adoration virtuelle en apparence toutes les caractéristiques d’une pratique de piété traditionnelle. Or, elle se déploie d’une manière nouvelle, rendue possible par les interactions entre les internautes. Pendant l’exposition du Saint-Sacrement, qui dure 90 minutes cinq jours par semaine, des milliers de messages de prière défilent à l’écran. «Pour bébé Juju», dit l’un. «Merci Seigneur», dit l’autre.

«Ces interactions nous rappellent que Jésus se fait proche de chaque personne qui souffre», soutient l’abbé Vallières. Elles affirment que malgré les mesures sanitaires, «on peut être auprès des gens d’une autre manière». Il invite les internautes à s’écrire, à entrer en contact les uns avec les autres, et à se soutenir mutuellement par la prière. «Ça tisse des liens, mais ça ne remplace pas la présence physique», tempère-t-il.

Montrer un autre visage de l’Église

Dans l’archidiocèse de Québec aussi, l’initiative Couronne de vie, animée par l’abbé Dominic LeRouzès, s’est transformée au fil des semaines, elle qui avait d’abord été pensée pour offrir des messes et des temps de prière. Elle attire des milliers d’internautes chaque jour. «L’idée initiale était de relier les gens de l’archidiocèse et d’alimenter leur vie spirituelle, explique-t-il. Nous ne voulions pas juste nous situer au niveau de la messe, poursuit-il. Mais les pratiques plus simples et plus spontanées, ce sont la messe et les temps de prière. Nous avons alors ajouté un topo du matin, à 9 h, qui propose une parole libre, spontanée et dégagée.» Puis, l’équipe a été apostrophée par un prêtre. «Il nous a dit que nous étions portés sur la liturgie et la prière et qu’il aimerait que nous puissions aussi montrer un autre visage de l’Église. Nous nous sommes laissé interpeller et nous avons commencé à faire des entrevues, à parler d’initiatives sociales», ajoute l’abbé LeRouzès. L’expérience – qu’il aimerait poursuivre après la pandémie – lui fait réaliser que le Web était «vraiment sous-­exploité» en Église. «On se pose la question de la proximité dans l’Église. Comment être proche? demande-t-il. Les équipes deviennent moins nombreuses, le territoire est immense. Le Web et les réseaux sociaux offrent une solution concrète pour donner de l’information.» Il sent croître une communauté autour de cette offre.

Participatif et communautaire

Les expériences de pratiques connues qui se trouvent ainsi modulées par leur présence virtuelle mettent en lumière la soif de Dieu de centaines de milliers de chrétiens confinés qui cherchent sur les réseaux sociaux une manière de vivre leur foi autre­ment en ces temps inédits. Et qui veulent le faire sur un mode participatif et communautaire. C’est notamment le cas dans le diocèse de Saint Jean-Longueuil, où un groupe privé destiné aux familles, loin des formules connues, obtient un succès inattendu. «L’objectif était de les nourrir spirituellement», explique Colette Beauchemin, cores­ponsable de la catéchèse pour tous. Le groupe, appelé Catéchèse en quarantaine, compte environ 300 membres. Des célébrations de la Parole participatives ont attiré au printemps des familles au-­delà des fron­tières du diocèse, et pas uniquement celles déjà ins­crites aux parcours catéchétiques. «Les célébrations durent une heure. Mais toute la semaine, dans le groupe, on alimente les textes bibliques du dimanche suivant : on offre des vidéos, des réflexions, des textes pour les adultes, des activités ludiques pour les familles. Nous les invitons à partager des poèmes, des dessins, voire des lettres», précise-t-elle. Elle se réjouit de voir qu’il est possible de créer une dynamique communautaire virtuelle. «La réalité de l’Église va être transformée après cette pan­démie. Cette expérience nous donne de l’espoir : on sent l’esprit communautaire, les gens s’impliquent et interagissent. Même au niveau intergénérationnel, car nous avons aussi des grands-parents. C’est comme si avec ce mode, on voit plus facilement les possibilités.» Les familles sont réparties en trois groupes différents, ce qui aide à rendre les échanges plus personnels. Idéalement, les groupes se limitent à un maximum de 15 écrans. «Nous pouvons commencer à envisager la catéchèse d’automne de manière semblable. On sent que c’est un modèle qu’il va falloir intégrer dans nos offres. Ce que nous vivons là n’est pas juste un pis-aller : il y a vraiment de la vie là-dedans!», s’enthousiasme Colette Beauchemin. «C’est quelque chose de très prometteur pour l’avenir.»

Mélanie Charron, coordonnatrice de la pastorale d’ensemble et des communications au diocèse de Trois-Rivières. 

PHOTO: CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE

La Parole déconfinée

Du côté du diocèse de Trois-Rivières, le confinement a d’abord été vécu comme un «choc», relate Mélanie Charron, coordonnatrice de la pastorale d’ensemble et des communications. Puis un projet a vu le jour: la Parole déconfinée. Il regroupe une cinquantaine de personnes réparties en sept groupes connectés qui vivent un temps de dialogue. Ce projet s’appuie sur L’Aventure de l’Évangile, une initiative qui existe depuis plusieurs années dans la région.

«Nous avons gardé cette formule pour partir du vécu des personnes et mettre ça en écho avec la Parole de Dieu», dit Mme Charron. La formule se veut volontairement simple : chacun s’inspire de son expérience de confinement, qu’il partage au sein de son groupe.

Le diocèse espère voir ces groupes se multiplier au cours de l’été, sans se donner d’objectif chiffré. «Nous nous réjouissons que des baptisés cheminent. Nous cherchons aussi comment être missionnaires et témoins. Ces groupes vont peut-être nous l’ap­prendre aussi… Il ne s’agit pas d’être prosélytes, mais de témoigner de l’espérance qui nous habite», soutient-elle.

Influenceurs cathos

Ce dynamisme observé en ligne est aussi parfois le fruit d’initiatives personnelles, qui voit émerger des influenceurs de la Toile catholique.

Basé dans Portneuf, l’abbé Jean-Philippe Auger profite de la crise pour développer son offre de formation lancée en 2017. À partir de son site Padre Coach, il développe trois approches : Padre Live pour des webinaires, Padre Académie pour le coaching et la formation et Padre Lab pour mettre en contact une communauté d’apprentissage, à la manière d’un réseau social privé. Il atteint des centaines de personnes par semaine.

«Le but de tout ça, c’est de développer le savoir-faire numérique : comprendre comment l’utilisation des technologies peut augmenter la fécondité des personnes et l’efficacité des initiatives pastorales dans le monde de demain», explique le docteur en théologie pratique.

Plus que jamais, il milite pour des approches pastorales qui s’appuient fortement sur le numérique et Internet. «L’Église, jusqu’à maintenant, n’était pas là», laisse-t-il tomber.

Mais la crise vient accélérer la prise de conscience à cet égard. Les formations de l’abbé Auger abordent non seulement la question du savoir-faire numérique, mais aussi du savoir-être qui touche à l’identité des personnes et des institutions. «Si on veut faire de la pastorale dans un monde post-COVID-19, ça va être nécessaire», assure-t-il.

L’abbé Jean‐Philippe Auger milite pour des approches pastorales qui s’appuient fortement sur le numérique et Internet.

PHOTO: PRÉSENCE/PHILIPPE VAILLANCOURT

Autre chose que des messes en ligne

À Gatineau, Mgr Paul-André Durocher s’est laissé prendre au jeu. Souhaitant lui aussi offrir autre chose que des messes en ligne, il s’est offert un petit luxe : des commentaires bibliques qui, à bien des égards, lui permettent d’aller plus en profondeur que ce qu’il a habituellement le temps de faire.

«Oh, j’ai bien essayé de voir ce que ça donnerait d’aller me filmer dans la cathédrale. Mais je ne trouvais pas de bonne place. Je me suis dit que ce serait laid et pas très bon!», confie-t-il d’un ton amusé. Par ailleurs, il trouvait que les messes du pape étaient déjà très bonnes. «Pourquoi rivaliser avec lui?»

Il s’est donc mis à se filmer chez lui pour explorer des enjeux exégétiques. «Ça a pris de l’ampleur. Beaucoup de gens se sont mis à me suivre sur YouTube. J’ai vu que ça répond à un besoin», constate-t-il. Il atteint en moyenne 400 personnes par réflexion, réparties entre des versions française et anglaise de ses vidéos (photo page 9). Surtout, dit-il, cette expérience heureuse n’aurait pas été possible avec son emploi du temps habituel d’avant la crise.

Bousculée dans ses habitudes par la COVID­19, l’Église n’est pas que perdante. Car derrière cette nouvelle vie ecclésiale qui se déploie sur les réseaux sociaux s’exprime un même désir d’une Église proche des gens, forte de ses communautés, où la proposition de rencontre avec le Christ investit pleinement le champ de la rencontre avec les autres. Même par pixels interposés.

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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