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Le mal

LES MOTS DE LA VIE par Jérôme Martineau

          OCTOBRE 2022

PHOTO : POTOGRAPHEE.EU/SHUTTERSTOCK.COM

«  Je regarde vers Dieu, les yeux remplis de larmes  »

Cette phrase est tirée du livre de Job. Nous la trouvons au chapitre 6 du plaidoyer qu’il adresse à Dieu. Le livre de Job incarne dans la Bible le cri de révolte que l’homme lance à la face de Dieu parce que la souffrance est devenue insupportable. Qui plus est, elle est un scandale pour les hommes et les femmes qui pratiquent la justice, qui aiment Dieu et leur prochain. Pourquoi la vie est-elle si souvent une vallée de larmes et un long chemin de souffrances ?

La question du mal est obsédante. Les médias rapportent chaque jour le cri des enfants qui souffrent sans motif ou plus encore la détresse d’hommes et de femmes qui sont les victimes gratuites des bombes et de divers attentats. Faut-il que les hommes soient si imbus de leur pouvoir pour faire mourir le sourire d’un enfant et la tendresse d’une mère ? Tout ce mal pour un instant de pouvoir absolu. Tout ce mal que l’on arrive même à justifier avec des arguments religieux !

Un objet de scandale

L’auteur du livre de Job avait, vers le 4e siècle avant Jésus, bien compris que le mal nécessitait une réponse de la part de Dieu. Déjà à cette époque, le silence de Dieu était l’objet d’un scandale. Job souffre en son être de cette souffrance qui ne trouve pas de réponse. Il s’adresse à Dieu avec des phrases qui sont très modernes : « J’aimerais savoir où trouver Dieu » (Job 23,3); « J’espérais le bonheur, mais j’ai eu le malheur » (30,26); « Pourquoi la vie, si l’homme ne voit plus le chemin » (3,23).

Un regard attentif dans la Bible nous montre que le mal est présent dès que l’humanité est créée. Nous voyons au livre de la Genèse Adam et Ève aux prises avec la désobéissance. Très rapidement, les auteurs du livre de la Genèse mettent en scène le premier meurtre. Je ne veux pas prolonger ici la liste des différentes exactions dont témoignent les récits bibliques. Il n’en demeure pas moins que les hommes de ce temps savaient déjà inventer les scénarios les plus terribles pour faire souffrir. Que dire aussi de toutes les souffrances liées aux cataclysmes naturels !

En ces époques, on croyait que les souffrances étaient liées au jugement de Dieu. Dieu récompensait les justes et punissait les impies. C’est à cette doctrine que le livre de Job s’attaque de front. Job, un homme juste parmi les justes, se voit dépouiller de tous ses biens. Plus encore, son corps est couvert de gale. Qu’a-t-il fait pour mériter un tel sort ? Un adage disait que les fils ont les dents gâtées parce que les pères ont mangé des raisins verts. Le sens de ce proverbe était que les fils payaient pour les péchés de leurs ancêtres et cela jusqu’à la septième génération. Une manière de dire que le châtiment de Dieu avait valeur d’éternité. Le prophète Jérémie a brisé le cercle du châtiment collectif. Sa réponse ne résolvait pas le problème du mal et du silence de Dieu.

Qui a péché ?

La question surgit dans l’Évangile de Jean lorsque l’on interroge Jésus au sujet d’un homme qui était aveugle de naissance : « Rabbi, qui a péché pour qu’il soit ainsi aveugle ? Est-ce lui ou ses parents ? » (Jean 9,2). Nous reconnaissons les arguments du livre de Job. La question du mal était encore d’actualité au temps de Jésus. Sa réponse ouvre une autre dimension : « S’il est ainsi, ce n’est pas à cause d’un péché, de lui ou de ses parents, mais pour qu’une œuvre de Dieu, et très évidente, se fasse en lui » (9,3). Jésus procède à la guérison de cet aveugle. Il détache la souffrance de cet homme d’un quelconque châtiment.

La question du mal et de la souffrance demeure cependant entière. Les pourquoi ne cessent de monter des œuvres littéraires et philosophiques depuis des siècles. J’ai lu un jour dans un ouvrage du père Bernard Bro le témoignage du cardinal Pierre Veuillot, archevêque de Paris, alors qu’il souffrait du cancer : « Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même, j’en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n’en rien dire: nous ignorons ce qu’elle est. J’en ai pleuré. »

Faut-il se taire ? Non, mais notre discours est appelé à changer. Que de fois n’ai-je pas entendu dire que la souffrance avait un sens. Le philosophe Bertrand Vergely a écrit dans son ouvrage Le silence de Dieu : « C’est le sens de la souffrance qui a créé la souffrance de la souffrance. Si donc on aspire à soulager la souffrance humaine, il faut d’urgence arrêter de donner un sens à celle-ci. […] La souffrance fait partie de la vie, comme la mort. On en triomphe en vivant l’une comme l’autre. »

Une affaire de foi

Il ajoute : « La question de la souffrance est une affaire de foi et non de sens. […] La seule façon de penser la vie comme la souffrance consiste à ne plus les penser, mais à les soutenir. C’est ce que fait la foi. » C’est le sens de la présence de Jésus auprès de toutes les personnes souffrantes qu’il a rencontrées. Sa mission était une mission de libération. Nous n’avons pas encore bien compris le sens de cette libération dans la mission de l’Église. Bertrand Vergely a écrit : « Dieu n’est pas dans le monde. Il est dans l’amour du monde. »

Le livre de Job est riche d’un enseignement: la souffrance est un passage. Job est fidèle à son être profond. Sa foi n’est pas venue éteindre sa capacité à se plaindre face à Dieu. Son attitude est venue confirmer que le Dieu de la Bible est le Dieu de la relation même s’il garde silence. C’est en lançant son cri de révolte qu’un chemin de transformation s’est ouvert en lui: le chemin de l’amour. L’amour est la réponse de Dieu à la souffrance.

« La lutte que nous menons dans la souffrance est l’expression de nos ressources spirituelles. »

— Jérôme Martineau dans Job, l’homme qui posa des questions à Dieu

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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