Le pardon
LES MOTS DE LA VIE par Jérôme Martineau
JANVIER-FÉVRIER 2022
Le pardon est‐il vraiment au service de la vie ? Cette question se pose, car elle est d’actualité.
Les médias rapportent tant d’histoires difficiles qui nourrissent notre quotidien. Je pense aux agressions sexuelles commises par des prêtres. Je me remémore des actes de violence conjugale. Que dire des traitements racistes que nos sociétés ont infligés aux Premières Nations ? Est-il possible de vivre un processus qui permette de reconstruire des relations afin de vivre sous le signe de la fraternité ?
Le pardon fait débat. Il est souvent relégué dans les attitudes marginales qui jalonnent l’existence humaine. Et pourtant le pardon est une démarche qui s’impose, même si elle est complexe et difficile. Nous avons tous connu des épisodes dans nos vies où notre existence a été marquée par le dilemme suivant : est-ce que je pardonne ou pas?
Les chrétiens connaissent cette demande du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Je ne veux pas ici commenter cette demande qui est au cœur de la prière enseignée par Jésus. J’attire l’attention sur le fait que cette demande suit celle qui demande au Père de nous accorder le pain quotidien. Le pain est un aliment nécessaire à la vie. Sur un autre plan, celui des relations, le pardon est au service de la vie. Voilà ce que révèle Jésus en mettant cette demande au cœur du Notre Père.
Une longue démarche
Le pardon nécessite souvent une longue démarche qui demande du discernement et de la patience. Le pardon ne s’impose pas. C’est un acte libre qui permet de renouer des relations. Le pardon n’ignore pas la justice. La vie ne se reconstruit pas après un acte grave sans ignorer le réel tort qui a été causé à la victime. Le pardon accordé est un acte qui émane d’une demande qui vient de l’offenseur. Il faut que ce dernier se lève et reconnaisse qu’il est à l’origine d’un mal qui a occasionné une grande souffrance chez la personne offensée.
La parabole de l’enfant prodigue est le modèle des démarches de demande de pardon. Une lecture attentive du texte montre le cheminement qui a mené le fils à retourner vers son père pour lui demander pardon. L’évangéliste raconte que le fils rentrant en lui-même » se mit à réfléchir à la situation qu’il vivait. Il se rendit compte qu’il avait coupé la relation avec son père et qu’il était désormais isolé. Le père et le fils étaient désormais séparés. Le départ du fils était une grande souffrance pour le père. Le fils a commencé par faire la vérité sur la situation qu’il vivait. Il a reconnu son tort. Il a été capable de se dire : « Je suis responsable de cette rupture et de la souffrance qui accable mon père. »
La demande de pardon commence par une profonde prise de conscience qui consiste en l’analyse de la situation vécue par l’offenseur. Il est capable de dire : « Je suis responsable. » C’est à partir de ce moment que le fils entre en action : « Je peux partir, aller vers mon père. » Son être se met non seulement en marche spirituellement, mais aussi physiquement. Toute sa personne est engagée dans la marche vers la réconciliation.
Pardonner libère
Jésus dans son enseignement pousse encore plus loin l’engagement du fils. Il se rend chez son père pour lui parler : « Père, j’ai péché contre le Ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. » La parole est un élément essentiel de la démarche. Elle exprime que la faute est grave puisqu’elle a rompu la relation. Seule la personne qui a offensé peut poser cet acte. La suite de la parabole montre que le père ne pose pas de conditions pour accorder son pardon. Il aime son fils tel qu’il est même s’il désapprouve la faute commise.
Le père Évode Beaucamp, o.f.m. disait dans une entrevue que « pour pardonner, il faut aimer quelqu’un tel qu’il est, non pas dans ses défauts, mais malgré ses défauts. Cela suppose que Dieu peut transformer les gens bien concrets avec lesquels on vit. »
Accorder le pardon à l’offenseur demande du temps. Toute blessure demande un temps de guérison. Le philosophe Christophe André affirme : « Pardonner aux autres non parce qu’ils méritent le pardon, mais parce que toi tu mérites la paix. Le pardon n’efface rien. Il libère et il permet de ne pas perdre le lien avec soi. » Sans le pardon, la souffrance reste actuelle. Le pardon est processus de la guérison.
Le bien triomphe du mal
Le pardon est une exigence de la vie chrétienne. Le père Beaucamp disait avec conviction : « Ainsi, pour un chrétien, le pardon n’est pas seulement une espèce d’attitude morale élevée. C’est d’abord la foi en l’avènement du règne de Dieu, c’est-à-dire le triomphe du bien sur le mal. »
Jésus connaissait le cœur de l’homme. L’apôtre Pierre posa un jour cette question : « “Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois?” Jésus lui dit: “Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.” » (Matthieu 18,21-22). Pardonner à l’infini, c’est pardonner à l’image de Dieu, car toute personne est sans cesse en croissance.
La philosophe Hannah Arendt a écrit que « symboliquement, le pardon offre une seconde naissance. Il rend à nouveau disponible le présent, de nouvelles pensées, de nouveaux comportements. » Il ne faut pas cesser de réfléchir sur le pardon. Il faut cependant le plus possible le mettre en action. Évode Beaucamp disait sur une note d’espérance : « Au fond, dans les cas extrêmes, pardonner, ce n’est pas se faire complice du mal, mais avoir assez de foi en la puissance de Dieu pour ne désespérer de personne. »
Pardonner, ce n’est ni oublier ni effacer; c’est renoncer, selon les cas, à punir ou à haïr, et même, parfois à juger. — André Comte-Sponville