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ABBÉ LOUIS-MARIE BEAUMONT

ABBÉ LOUIS-MARIE BEAUMONT

«L’Église ne prend pas suffisamment les laïques au sérieux»

«L’Église ne prend pas suffisamment les laïques au sérieux»

ENTREVUE par Michel Dongois

          MAI 2022

PHOTO: MICHEL DONGOIS

« Plusieurs prêtres vivent du désarroi devant la situation de l’Église. Ils se demandent si tout cela en valait la peine, me confie l’abbé Louis‐Marie Beaumont. Mais au‐delà de ce qui tombe, cherchons aussi ce qui peut naître par nous ! »

Conjuguant ainsi lucidité et enthousiasme, le prêtre du diocèse de Chicoutimi s’efforce de réveiller ce qu’il appelle « le géant endormi ». C’est-à-dire les laïques, que l’Église n’a pas suffisamment pris au sérieux, dit-il. Le voilà donc devenu « chasseur de charismes » dans sa propre communauté. À l’occasion du pèlerinage des Deux-Rives au Saguenay, que j’ai fait avec lui l’été dernier, il revient sur ses expériences pastorales.

Toujours en poste, à 78 ans ?

À cet âge normalement, pour le modérateur d’une unité pastorale de 12 clochers, il serait grand temps d’accrocher ses patins. « Mais, étant donné la situation actuelle, si vous avez la santé et l’intérêt, pourriez-vous poursuivre encore un peu ? », m’a demandé mon évêque. Santé et intérêt étant au rendez-vous, j’ai le bonheur de prolonger ce ministère, en attendant la réorganisation prochaine du diocèse.

Comment voyez‐vous l’évolution de l’Église, après 53 ans d’ordination ?

De ma formation (Grand séminaire de Chicoutimi, 1964-1968), j’ai hérité d’un esprit, d’un style qui me nourrit encore. Celui du concile Vatican II: une ouverture au monde perçu non comme un ennemi dont il faut se méfier, mais comme le lieu où Dieu me précède et m’invite à témoigner avec amour. Un esprit qui voit en chaque personne, quelle qu’elle soit, un frère, une sœur de Jésus Christ. Cela permet un regard tellement différent sur les gens que je rencontre!

Je ne cache pas une certaine déception cependant, due au sentiment de tourner en rond parfois, de revenir au point de départ. Jadis, plusieurs prêtres se sont laïcisés, pour diverses raisons. Aujourd’hui, bien des confrères vivent du désarroi devant l’état de l’Église. Je les comprends.

J’ai en mémoire tous ces efforts, projets, priorités diocésaines, réaménagements pastoraux de toutes sortes. Sitôt tentés, sitôt remplacés par le suivant, sans avoir mis le temps et le cœur de s’y investir, d’y croire vraiment.

Que voulez‐vous dire quand vous parlez du « géant endormi » ?

Ce qui me chagrine le plus, c’est que souvent les baptisés ont peu, ou pas, droit de parole. La non-écoute des laïques, voilà le drame de l’Église depuis des siècles! C’est son talon d’Achille. Pourtant, Vatican II évoquait le peuple de Dieu bien avant de parler des prêtres et des évêques! Les baptisés laïques, que je qualifie de «géant endormi», n’ont pas, dans notre Église, la place qui leur revient.

Comment réveiller le géant endormi ?

En partant d’une certitude : une personne n’est jamais si pauvre qu’elle ne peut rien apporter aux autres. Fort de cette conviction, je suis devenu « un chercheur de charismes », ce qui donne un sens à mon ministère.

Ainsi, depuis 2010, une équipe de 10 laïques prend soin des familles endeuillées. Elle les accompagne, les écoute, prépare avec elles la célébration pour qu’elle soit significative. Deux fois par mois, l’équipe se réunit pour une formation et un partage d’expérience. Ainsi ce ministère devient-il nourrissant pour tous. L’exercice se vit aussi avec les familles en attente d’un enfant qu’elles veulent faire baptiser. Une équipe les soutient, vit avec elles un moment de partage, anime la célébration, etc.

Avez‐vous d’autres exemples d’initiatives ?

Dans notre diocèse, l’année 2014 a représenté un tournant, avec deux projets extraordinaires. Le premier, c’est l’incitation à commencer chaque réunion, quelle qu’elle soit, par le partage de l’évangile du jour. Il a fallu plusieurs années avant que ce soit bien ancré dans les esprits. Petit à petit, nous en goûtons les résultats.

Plus difficile à réaliser, le second projet consiste, pour chaque communauté locale, à se choisir une équipe d’animation, pour célébrer la parole, s’occuper de tout ce qui s’appelle « faire communauté ». Là, on vit davantage l’Église peuple de Dieu, chaque baptisé étant encouragé à devenir ce qu’il est vraiment : prêtre, prophète et roi.

Quel bilan dressez‐vous des conseils de pastorale ?

Un bilan mitigé. Nous sommes conviés à instaurer un conseil de pastorale paroissial, essentiel pour poser un regard de foi sur la communauté, la prendre en charge. Un conseil avec des leaders qui décident de suivre les formations offertes. Or, après de multiples essais et rappels, c’est resté lettre morte, ou presque, du moins dans notre diocèse. Les personnes en poste, les permanents, n’ont donc pas de véritables vis-à-vis pour leur apporter une vision autre, un regard neuf sur les communautés locales qui, elles, ne voient pas l’heure de se prendre en charge.

Même sentiment de tourner en rond avec le volet de l’initiation chrétienne. On s’y est beaucoup investi, dans les écoles d’abord avec les catéchèses, dans les paroisses ensuite. Pour se rendre compte aujourd’hui qu’il fallait s’adresser davantage aux parents qu’aux enfants, et ne plus tenir compte des cohortes du même âge ou degré scolaire.

Êtes‐vous amer ?

Non, je tente de conjuguer enthousiasme et lucidité. Je caresse le même rêve depuis mon ordination, celui que les communautés locales s’assument. Même si elles sont, d’une fois à l’autre, annexées, regroupées. Même si le nombre de prêtres pour les rassembler s’amenuise. Tous les baptisés sont appelés à se prononcer sur « la gouvernance de l’Église ». Or, il faut se battre parfois pour qu’un laïque préside une cérémonie. L’expression « convaincre avant de comprendre » décrit assez bien, à mon avis, l’attitude de la gouvernance de l’Église.

Lorsque l’ensemble des baptisés d’une Église locale formule un souhait, comme celui de la célébration communautaire du pardon avec absolution collective, tout de suite l’autorité s’insurge. Elle essaie de les convaincre que l’important, c’est la rencontre personnelle avec le prêtre. D’accord, mais que faire quand il n’y a plus de prêtre?

Il en fut ainsi pour la présidence des baptêmes et aujourd’hui pour celle des mariages religieux, où les ministres ordinaires ne suffisent plus à la tâche. Bientôt, ce sera au tour des célébrations eucharistiques et de l’onction des malades, pourtant si attendues par les fidèles. Alors, ces temps-ci, la petite phrase fait son chemin en moi, mais inversée, soit « comprendre avant de convaincre ».

Est‐il trop tard pour que l’Église change à cet égard ?

Il lui faudra d’abord traverser l’épreuve de la réalité: nous sommes entrés en Église dans le mystère pascal. Pas moyen de le fuir ! Le monde peut rejeter l’Église et les prêtres, pas l’Évangile. Or, l’Église ne sent pas assez l’Évangile. Il lui faut aussi assumer ses ombres (pédophilie, attitude ambiguë face aux pensionnats autochtones, etc.). N’y a-t-il pas là une nécessaire introspection, car l’Église du Québec a beaucoup de comptes à rendre à la population?

Prenez la pression indue qu’exerçaient certains curés pour que les femmes aient toujours plus d’enfants. C’est resté gravé dans les mémoires. Les gens sont saturés d’une morale imposée. Mais n’oublions pas l’engagement de l’Église envers l’environnement, son partenariat avec Développement et Paix, la création de nombreuses soupes populaires, etc.

« Le monde peut rejeter l’Église et les prêtres, pas l’Évangile. »

PHOTO : MICHEL DONGOIS

Discernez‐vous des pistes de solution ?

J’en vois deux. Faire venir des prêtres de l’extérieur, avec le risque de réinstaller l’Église d’avant, où les laïques avaient peu leur mot à dire. Ou mieux, beaucoup mieux, donner véritablement leur chance aux conseils de pastorale, une petite équipe locale s’assurant que les malades sont visités, les nouveaux venus accueillis, les pauvres aidés, etc.

Au-delà des structures, c’est la relation humaine qui prime. Dans cet esprit, nous avons initié, en 2014, l’expérience pastorale du pèlerinage des Deux-Rives, menée par une équipe de laïques, Les Portageurs. Une semaine de marche d’environ 140 km pendant laquelle le corps tout entier se fait à la fois abandon, prière, offrande, joie et partage, en plus de savourer la nature au printemps.

D’où en est venue l’idée ?

Elle a surgi à la naissance de notre nouvelle unité pastorale Des-Deux-Rives (quatre communautés sur la rive nord du Saguenay, six sur la rive sud). Le pèlerinage les relie toutes en une grande tournée familiale en somme, avec accueil local.

Ce genre d’initiative humaine contribue à entretenir la flamme en moi. J’y vois une expérience d’Église en marche, préfigurant l’Église de demain. Là, je suis davantage un frère parmi d’autres qu’un prêtre au sens traditionnel. Enfin, je rêve de marcher notre région, avec d’autres pèlerins, de Sagard à Saint-Thomas-Didyme et retour. Ce serait mon chant du cygne ! En 2023 ?

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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