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Les célibataires, dans l’angle mort de l’Église

ENTREVUE par Stéphane Gaudet

          JUIN 2018

                                                                                                                                     PHOTO: STÉPHANE GAUDET

Les statistiques montrent qu’il y a de plus en plus de personnes célibataires dans nos sociétés. Pourtant l’Église, dans son discours et ses pratiques, semble ignorer leur existence. Journaliste au quotidien catholique français La Croix et elle-même célibataire, Claire Lesegretain anime des sessions pour les célibataires chrétiens. Notre-Dame-du-Cap l’a interviewée alors qu’elle était à Ottawa pour l’une de ces sessions.

Quel est le problème avec les célibataires dans l’Église? Pourquoi ce ministère particulier que vous exercez auprès des célibataires?

Les célibataires ont peu de lieux pour se parler entre eux et peu d’endroits pour se confier sur ce qu’ils vivent, et sur ce qu’ils ne vivent pas : ils n’ont pas de vie de couple, ils ne vivent pas avec des enfants. Autour d’eux en général, les gens vivent en couple avec des enfants, donc les conversations portent beaucoup là-dessus. Alors les célibataires se sentent un peu mis à part. À la longue, ça peut devenir lourd d’être toujours entouré de gens qui parlent de leur couple, de leurs vacances en couple, de leur famille… Quand on n’a rien de tel à raconter, on a l’impression qu’on ne compte pas, qu’on est nul parce qu’on n’a pas de conjoint, pas d’enfants, bref, qu’on n’a pas d’existence. C’est douloureux, d’autant plus que les célibataires sont oubliés, dans la société comme dans l’Église. J’en veux pour preuve qu’il n’y a jamais d’intentions de prières pour les célibataires lors des prières universelles. Quand il y a des documents des évêques ou du Vatican sur les questions familiales, jamais il n’y a d’allusion aux nombreuses personnes qui vivent célibataires. L’exhortation apostolique Amoris Laetitia aborde beaucoup de cas de figure et d’états de vie, mais pas une ligne sur le célibat en 200 pages ! Tout ça mis bout à bout donne vraiment l’impression aux célibataires qu’ils ne comptent pas, qu’ils n’ont pas de place. Les célibataires sont l’angle mort de l’Église : ils sont partout, mais on ne les voit pas, comme s’ils étaient invisibles. D’où la nécessité de créer des lieux, des temps forts (sessions, retraites, formations) pour que les personnes célibataires se sentent exister et qu’on leur dise qu’elles ont du prix. C’est une de mes convictions : un célibataire chrétien qui vit son célibat en essayant de suivre le Seigneur, en essayant de vivre une vie conforme à l’Évangile, est un trésor pour l’Église.

Pourquoi l’Église catholique insiste tant sur le mariage, la famille, la procréation, comme si c’était là le cœur de l’Évangile?

Pendant des siècles, l’Église a insisté sur le sacerdoce et la vie monastique ou religieuse. Avec le baby boom après la Seconde Guerre mondiale, il a fallu créer une pastorale des familles avec une spiritualité pour les couples. Pendant une quarantaine d’années, des années 1950 aux années 90, l’Église a mis l’accent sur les familles, mais c’est assez récent comme préoccupation, ce n’est pas quelque chose de si ancien. C’est vrai que l’Église a mis de l’avant la fécondité charnelle en disant qu’un couple, pour être vraiment un couple chrétien, doit donner la vie. Et s’il ne peut pas donner la vie, à cause d’un problème de stérilité, il doit trouver un moyen d’être fécond autrement.

Est-ce que pour l’Église catholique, être célibataire est moins bien qu’être marié?

L’Église dit que non, que tous les états de vie sont à égalité. Vatican II avec Lumen Gentium a insisté sur l’égalité baptismale. Mais une fois cela dit, on ne peut nier qu’il existe de fait une hiérarchie dans les mentalités. Au sommet, les évêques, ensuite les prêtres, ensuite les diacres, ensuite les laïques baptisés. Et chez les laïques baptisés, c’est beaucoup mieux d’être en couple marié avec des enfants, et si possible beaucoup d’enfants. Et tout au bas, les célibataires, qui sont considérés comme la dernière roue du carrosse. Ce n’est jamais dit comme ça, mais dans les faits, c’est ce qui se passe. Et les célibataires le sentent bien. C’est pourquoi j’insiste toujours sur le fait qu’il est mortifère de confondre état de vie et vocation. Nous sommes tous appelés à une vocation. Cet appel prend des formes différentes en fonction de ses compétences, de ses appétits, de ses goûts, de ses capacités. Or dans l’Église, comme on confond état de vie et vocation, on laisse penser que seuls ont un appel ceux qui sont mariés ou qui sont prêtres ou religieux/religieuses, en faisant croire aux célibataires qu’ils n’ont pas de vocation. C’est faux ! On a tous un appel, et l’état de vie n’est qu’un moyen pour vivre cet appel et le vivre pleinement avec le Seigneur. Être mariée ou religieuse n’est pas un but en soi. L’objectif, c’est de répondre à l’appel de Dieu.

À quoi Dieu peut-il appeler les célibataires si ce n’est à la vie consacrée?

Justement, si on comprend bien ce que ça veut dire, le célibat peut être une vocation authentique. Le célibat n’a pas à être consacré – on peut le consacrer dans son cœur, en donnant sa vie et son célibat au Seigneur –, mais pas besoin de passer devant un évêque ou un supérieur religieux pour vivre le célibat. S’il est vécu dans la prière, dans une relation intime avec le Christ, le célibat est une vocation.

En quoi consistent les sessions que vous animez?

Ce n’est pas un club de rencontres. Non, même si ça peut arriver que ça débouche sur des rencontres. C’est arrivé deux ou trois fois. Mais les gens ne viennent pas pour ça. Le but de ces sessions est de prendre du recul, de réfléchir sur ce qu’on a vécu jusqu’à maintenant. Souvent, on a connu pas mal d’histoires amoureuses sans jamais avoir pris le temps de comprendre et d’analyser ce qui s’était passé. Les sessions permettent de relire sa vie sous le regard bienveillant de Dieu: quoi que j’aie vécu, même si j’ai l’impression de m’être trompé, Dieu m’a aimé; Dieu m’aime et Dieu m’aimera, quel que soit mon parcours. Le célibataire a souvent l’impression d’avoir eu un parcours tortueux et que les gens mariés ont une belle avenue bien droite qui se trace devant eux. Mais le célibataire peut se dire qu’un fleuve qui fait des méandres arrose plus de terres qu’un fleuve qui va droit à la mer !

Mais pourquoi animez-vous ces sessions? Vous pourriez vous contenter d’écrire des livres et des articles sur le sujet. 

Au départ, il y a 17 ans, c’était simplement pour répondre à la demande qui m’était faite. Puis, au fur et à mesure que j’ai donné ces sessions, j’ai pris de l’assurance. Je me suis rendu compte que moi-même, ça m’aidait, que c’était thérapeutique. Plus ça allait, plus j’ai senti que comme célibataire, j’avais un vrai rôle à jouer. Parler de célibat m’a aidée à vivre le mien. Et écouter aussi. Je suis toujours émue d’entendre ces personnes qui se confient à moi.

Claire Lesegretain animant une session pour célibataires chrétiens à Ottawa

PHOTO: STÉPHANE GAUDET

Que souhaitez-vous que l’Église fasse pour les personnes célibataires?

Qu’elle montre aux célibataires qu’elle les voit, les entend, qu’elle prend soin d’eux. Aussi, que le rôle des célibataires dans leurs communautés soit reconnu. Cela pourrait prendre la forme de documents publiés par les conférences épiscopales. De plus, que soient organisés des temps forts pour les célibataires dans les diocèses. On pourrait, par exemple, imaginer des pèlerinages de célibataires dans les sanctuaires, avec de belles liturgies et de belles prédications. Il devrait y avoir une personne référente pour les célibataires dans les diocèses urbains, là où il y a beaucoup de célibataires, rattachée à la pastorale des familles. Toutes ces initiatives commencent à être prises en France depuis 20-25 ans, maintenant il faut que d’autres pays s’y mettent! Le célibat est une des grandes questions qui se posent au 21e siècle, et l’Église ne peut pas rester étrangère à cette réalité. Claire Lesegretain est l’auteure du livre Être ou ne pas être… célibataire (Éd. Saint-Paul, 1998).

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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