Les Pères trappistes ont quitté Mistassini
REPORTAGE par Jean Gagné, prêtre Responsable des communications Diocèse de Chicoutimi
Janvier-fevrier 2024
Le 16 novembre 2023, les derniers Pères trappistes de Mistassini ont quitté la région du Saguenay – Lac‐Saint‐Jean afin de s’établir dans celle de Lanaudière.
En 2022, au moment de prendre la décision de fermer le monastère, ils étaient huit moines. De ce nombre, pour des raisons de santé, trois d’entre eux sont allés demeurer à l’infirmerie des Clercs de Saint-Viateur à Joliette. Avec l’accord de leur communauté, deux autres ont décidé de s’établir à la résidence Les Jardins du Monastère à Dolbeau-Mistassini. Cette résidence pour personnes âgées est située à l’intérieur même des murs de l’ancien monastère des Pères trappistes. Enfin, les trois derniers se sont installés à l’abbaye Val-Notre-Dame à Saint-Jean-de-Matha.
LE SAVOIR‐FAIRE DES MOINES
La communauté des Pères trappistes a été présente durant 131 ans dans le nord du Lac-Saint-Jean. Cette présence trouve son origine dans une requête adressée aux moines d’Oka par l’évêque du diocèse de Chicoutimi et le gouvernement de l’époque. Cette sollicitation était motivée par le fait que l’on voulait ouvrir un nouveau territoire à la colonisation et ainsi freiner l’émigration de nombreux citoyens vers les États-Unis pour des raisons économiques.
Venus de France et établis à Oka depuis 1881, les moines avaient la réputation d’exceller en agriculture. La renommée des membres de cette communauté avait dépassé les frontières. C’est donc pourquoi ils avaient été sollicités pour s’établir à Mistassini. En 1892, on envoya trois moines qui s’implantèrent au confluent des rivières Mistassini et Mistassibi. C’est à eux qu’on doit la fondation de cette localité et de la paroisse Saint-Michel. Au fil des années, les moines ont fait bénéficier de leurs connaissances en agriculture aux gens venus vivre dans ce qui était alors devenu le Village des Pères, tout en procurant du travail à plusieurs d’entre eux.
Pour subvenir aux besoins des moines et procurer de la nourriture aux gens des alentours, l’exploitation agricole que ces derniers géraient comportait, entre autres, une laiterie, une beurrerie, une fromagerie (le gouda), un moulin à farine, l’élevage des poules, une fabrique de conserves (fèves, pois, bleuets). Se sont ajoutées en 1939 une confiserie et en 1978, la chocolaterie qui, aujourd’hui, n’a plus besoin de présentation puisque sa notoriété est connue au-delà du Saguenay – Lac-Saint-Jean.
UNE DÉCISION MÛREMENT RÉFLÉCHIE
Pourquoi quitter le milieu de Dolbeau-Mistassini pour s’établir ailleurs ? C’est la question que bien des gens ont posée aux Pères trappistes. Une telle décision ne se prend pas à la légère. Depuis plusieurs années déjà, la réflexion sur l’avenir de la communauté cistercienne en terre jeannoise et saguenéenne a été amorcée lors de rencontres communautaires. De façon plus sérieuse, en raison du manque de vocations, du vieillissement et de la santé de certains des frères, cette réflexion est remontée jusqu’aux membres du chapitre général.
En 2022, une commission ayant pour mandat d’accompagner les frères de l’abbaye Notre-Dame de Mistassini dans leur réflexion et dans leur prise de décision a été mise en place. Cette commission était formée du père Clément Charbonneau (père abbé du monastère de Mistassini) et du père André Barbeau (père abbé du monastère de Saint-Jean-de-Matha), de deux sœurs trappistines et d’un frère capucin. Cet accompagnement a été fait dans le respect de chacun des frères. La rencontre et l’écoute de chacun d’eux, la prière et la réflexion personnelle et communautaire de même que le temps de discernement ont été au cœur de la démarche de la commission. Au terme de ce cheminement, il était devenu clair pour les frères qu’il était temps de fermer définitivement le monastère. C’est alors qu’avec les membres de la communauté, la commission a préparé la fermeture de l’abbaye.
Les 8 et 10 septembre 2023, alors qu’il prenait la parole au moment des deux célébrations eucharistiques au cours desquelles, respectivement, le diocèse de Chicoutimi et la paroisse Saint-Michel de Dolbeau-Mistassini ont voulu leur rendre hommage, le père Clément Charbonneau a voulu expliquer le départ des membres de la communauté par les mots suivants : « J’ose penser que ce départ survient parce que les moines ont accompli l’œuvre qui leur a été confiée, celle d’être un lieu de prière et de recueillement dans le diocèse de Chicoutimi, et celle de permettre à une région de naître et de se développer. Donc pour nous, peut-être que tout est accompli. »
Le père abbé Clément Charbonneau : « Pour nous, peut‐ être que tout est accompli. »
FAIRE CONFIANCE À DIEU
Après la célébration du 10 septembre, questionné à savoir ce qu’ils ressentaient à la suite de l’annonce de leur départ, un moine s’est dit très serein face à cette décision et heureux de se joindre à ses frères de la communauté de l’abbaye Val-Notre-Dame. Un autre a affirmé avoir été très heureux à Mistassini et se dit confiant de l’être encore à Saint-Jean-de-Matha, car il a comme philosophie que là où il dépose sa valise, il est possible d’être heureux, faisant confiance à Dieu. Il dit comprendre que ses confrères puissent vivre cela différemment et qu’il a une pensée pour la population qui doit vivre un deuil avec leur départ. Enfin, sur place, après la célébration du 10 septembre, une personne qui a fréquenté les moines a partagé le fait qu’elle retient d’eux l’humilité, la vérité et l’accueil.
Pour ce qui est du monastère et des terres appartenant à la communauté, ils ont été vendus à la MRC (Municipalité régionale de comté) Maria-Chapdelaine, située au nord-ouest du Lac-Saint-Jean. Les corps et les cendres des frères décédés reposant dans le cimetière de la communauté seront exhumés au plus tard au printemps 2024 et inhumés dans le cimetière de Mistassini.
Enfin, pour ce qui est de la Chocolaterie des Pères Trappistes, devenue un emblème régional dont la réputation n’est plus à faire, elle est toujours la propriété de la communauté. Les Pères ont comme volonté que celle-ci demeure dans la région, notamment dans le secteur de Dolbeau-Mistassini qui l’a vue naître.