L’Évangile dans un monde nouveau
RÉFLEXION PASTORALE par Normand Provencher, o.m.i.
DÉCEMBRE 2023
Voici que je fais une chose nouvelle :
elle germe déjà, ne la voyez‐vous pas ?
Isaïe 43,19
Une autre année nous est donnée pour que nous ayons encore du temps pour réaliser nos projets. Il en est ainsi pour l’Église et la société qui vivent de profonds changements et des défis inédits. Ne sommes-nous pas sur la ligne de départ, à l’orée d’un nouvel âge de l’humanité et de l’Église ? Mais il n’y a pas d’avenir prometteur sans marcher ensemble et créer entre nous des rapports d’ouverture et de collaboration.
Une autre manière de vivre
Les gens de mon âge ont connu la société traditionnelle et ont fait l’expérience de l’entrée précipitée dans la société moderne. Que de changements en quelques décennies ! J’ai connu l’arrivée de l’électricité, de la télévision, du réfrigérateur, du micro-ondes, de l’ordinateur… Toutes ces technologies ont amélioré les conditions de vie, mais non pas sans entraîner la modernité, une nouvelle culture. Une manière de vivre marquée par la recherche de l’autonomie, le désir de l’épanouissement individuel, la recherche du « tout, tout de suite », le rejet du passé jugé peu inspirant et inutile. Il s’agit donc d’une autre manière de penser, d’aimer, d’être homme et femme, de vivre en société. Notre temps n’est pas seulement une époque de changements, mais bien un changement d’époque où Dieu ne semble pas avoir sa place. La société est en train de devenir postchrétienne et sécularisée. C’est ce monde, loin d’être virtuel, que l’Église a la responsabilité de rencontrer, de mieux comprendre, d’aimer et d’évangéliser.
La modernité est souvent considérée comme la responsable du déclin de la foi chrétienne. Pourquoi ne pas la considérer plutôt comme une occasion inédite de mettre en œuvre de nouveaux projets d’évangélisation, avec la conviction que l’Esprit du Ressuscité y est déjà agissant ? « Dieu est toujours déjà là, écrit Maurice Zundel, c’est nous qui sommes absents. »
« À vin nouveau, outres neuves »
Nous ne vivons plus dans la culture chrétienne qui a caractérisé l’Occident et, de manière très forte, le Québec, jusqu’aux années 1960. Des vestiges de la chrétienté sont encore présents. D’où les tentatives de certains de promouvoir un retour en arrière. Il s’agirait d’appliquer les approches pastorales d’autrefois qui ont édifié une Église puissante et partout présente. En conséquence, on n’ose pas entreprendre de changements des expressions de la foi, des ministères, des manières de célébrer et de vivre en communauté. Les responsables de l’Église se considèrent liés à des manières traditionnelles de penser et d’agir, qui sont certes valables sur plus d’un point, mais dépendantes d’une culture qui n’est plus celle d’aujourd’hui. Pourtant, chaque époque exige de nouvelles outres pour ce vin évangélique toujours jeune (Marc 2,22).
Où l’Église trouvera-t-elle les ministres de l’évangélisation du monde nouveau ? Le temps est venu de revoir les conditions de l’appel et de l’accès aux ministères en s’inspirant de l’organisation des ministères aux origines de l’Église et des attentes de la modernité.
Pour que l’Évangile soit entendu dans la société moderne, ses missionnaires prendront d’abord le temps de se familiariser avec le langage des gens d’aujourd’hui. Comme pour les missionnaires d’autrefois, ils s’aventurent sur des territoires inconnus, avec le souci de s’inculturer au monde moderne. C’est tout un programme que le pape François exprime en d’autres mots : « La pastorale en terme missionnaire exige d’abandonner le confortable critère pastoral du “on a toujours fait ainsi”. J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés. »
En prenant ce tournant, les missionnaires ne seront pas des « fonctionnaires » de l’Église qui cherchent à conquérir et à étendre son influence, mais des passionnés de l’Évangile toujours soucieux de témoigner et de proposer le Dieu révélé en Jésus Christ. Ce Dieu de l’Évangile est celui de la gratuité, de la démesure et qui aime les humains jusqu’à faire d’eux sa demeure. Or, la question à mettre au cœur de la pastorale dans la modernité et aussi au prochain Synode des évêques devrait être la suivante: « Quel est le cœur de l’Évangile ? » ou « Qu’est-ce que l’Évangile nous apprend sur Dieu et sur nous ? » On ramène trop souvent l’évangélisation à la transmission de la vaste et complexe doctrine catholique et à l’édification de l’Église. Mais le plus fondamental, c’est de susciter d’abord des expériences de découverte et de rencontre avec le Christ Jésus. De là surgiront de nouvelles communautés chrétiennes.
Présents sur la place publique
Même si la religion n’inspire plus la marche de la société et de ses institutions, on constate que beaucoup de contemporains sont en quête d’une spiritualité, intéressés à connaître Jésus Christ et ouverts à l’Évangile. Mais ils le font à leur façon, autrement que nous. Soyons donc disposés à faire route avec eux vers le Royaume.
L’Église d’ici, devenue craintive, est portée à se limiter aux pratiques pastorales habituelles, comme les célébrations de la messe, l’initiation sacramentelle, la catéchèse aux enfants et les dévotions, sans tenir compte des impacts de la foi sur la société. Au nom de leur foi et de leur responsabilité sociale, les catholiques sont appelés à entrer en contact avec la société sur des problèmes concrets comme les soins de santé, l’éducation, le monde des jeunes, la famille, la vieillesse, l’écologie, les arts, l’avenir de la planète, la laïcité, le racisme. Il est nécessaire d’identifier et de comprendre les enjeux de la société moderne et d’être présents sur la place publique, non pas en prétendant que nous avons la réponse adéquate sur tout, mais en l’aidant à s’humaniser et à s’engendrer dans plus de justice et de vérité. La pastorale a donc la mission d’aménager des espaces de réflexion et des « laboratoires » où la mise en œuvre de projets inédits s’accomplissent dans une ambiance d’hospitalité. Les baptisés, les membres d’autres religions et les non-croyants, femmes et hommes, y ont leur place. Et on court le risque d’un échec sans la contribution concrète des femmes, spécialistes de la vie et de la nouveauté. Pas de société juste et pas d’Église authentique sans leur présence dans les lieux d’orientation et de décision.
Il est encore temps pour chacune et chacun de nous, moins nombreux que jadis et surtout plus pauvres, de faire du neuf et de nous engager sur de nouveaux sentiers, même dans la nuit d’un long hiver et dans l’attente du printemps où jaillira une vie nouvelle.