robert lebel
« Ma voix, c’est ma vie »
ENTREVUE par Stéphane Gaudet
juin 2024
Un an après son infarctus, nous avons rencontré l’auteur‐compositeur‐interprète et prêtre Robert Lebel au Versant‐la‐Noël, centre de ressourcement qu’il a fondé en périphérie de Thetford Mines. Celui qui aura 75 ans cette année a répondu à nos questions sur son parcours, sa santé, le lieu de notre rencontre et ses projets.
Première question : comment va la santé ?
De mieux en mieux. J’ai fait un infarctus en février 2023. J’ai été opéré six mois plus tard. L’opération, un pontage, a été un succès. Mon cœur bat magnifiquement bien. Mon problème est la rétention d’eau.
Vos activités et votre rythme de vie ont dû être chamboulés.
Forcément. Je ne pouvais faire aucune activité, encore aujourd’hui mon rétablissement n’est pas complet. C’est une question d’énergie. Mais mon cœur va très bien, de même que mes poumons quand il n’y a pas d’eau autour.
J’ai recommencé à chanter il y a trois semaines, le matin aux célébrations. Je ne pourrais pas donner un concert ! Mais le matin, reposé, je peux chanter. Ça m’avait manqué! Ma voix, c’est ma vie…
Vous êtes auteur‐compositeur‐interprète depuis combien de temps ?
J’ai fait un premier disque à l’hiver 1979, mais j’animais déjà des célébrations avec mes chants. Dès l’âge de 19-20 ans, j’ai commencé à écrire et à animer petit à petit. J’étais au sanctuaire du Beauvoir à Sherbrooke, et quand j’animais, des gens venaient me dire : « C’est beau, vos chants, est-ce qu’on pourrait les avoir ? » De passage à Québec, le compositeur français Jo Akepsimas m’avait dit, après avoir entendu mes compositions : « Viens à Paris, on va t’en faire, un disque. » C’était en 1979.
Avec le recul, quel regard portez‐vous sur votre parcours ?
Un regard d’émerveillement. Je demande : « Comment se fait-il, Seigneur, que tu m’aies donné toute cette vitalité, cette vivacité du cœur et de l’âme ? » Parce que quand tu écris un chant, on sent bien que c’est son travail. C’est l’Esprit, je le ressens dans mon émotion. J’écris un chant sans trop savoir comment ça va aboutir. Mais souvent, en l’écrivant, je sens dans mon corps que tel ou tel chant va toucher les gens. Parfois en concert, je sens que les auditeurs sont touchés. On a une onction d’Esprit qui passe; même quand on est fatigué, ça passe quand même, ça ne dépend pas de toi. J’ai expérimenté ça souvent.
Oui, c’est un talent, mais limité. Je sais que je ne suis pas un grand musicien, j’ai très peu étudié la musique. J’ai fait un an et demi de piano, ce n’est rien ! Je ne peux avoir de prétention, sinon que le talent est devenu un don et le don est devenu une mission.
Quelles sont vos principales influences ?
Dans les années 1979-80, c’était les Jo Akepsimas, Mannick, Didier Rimaud, Michel Scouarnec, et au Québec, on avait les oblats André Dumont et Paul Arsenault. Dumont m’a beaucoup inspiré et c’est lui qui m’a branché sur mon arrangeur que j’ai depuis cette époque, Denis Larochelle.
Dans toute votre œuvre, y a‐t‐il des chants dont vous êtes particulièrement fier ?
J’en suis à 32 à 35 albums et environ 350 chants. Le chant qui a fait le plus de chemin est Comme lui. Il est très connu et très chanté dans les pays francophones. L’album qui a marché le plus fort est Je t’ai cherché longtemps, mon deuxième album produit au Québec. Je suis aussi très heureux des albums Messe du soir et Vêtue de lumière, qui est une approche très humaine, très touchante de la spiritualité de Marie et de sa vie.
Qu’est‐ce que ce lieu où nous sommes, le Versant‐la‐Noël?
C’est un centre de ressourcement. À l’origine, ce devait être une petite chapelle à caractère œcuménique entourée d’ermitages. On a construit un petit pavillon qui a fonctionné avec seulement six chambres pendant 15 ans. On a agrandi il y a trois ou quatre ans pour offrir plus d’hébergement.
Pourquoi est‐ce si important pour vous que le centre soit à caractère œcuménique et interreligieux ?
Je suis né à Richmond en 1949, une ville bilingue en Estrie. Mes voisins quand j’étais enfant étaient tous protestants. On vivait ensemble, mais on ne priait pas ensemble. Je disais à mes parents: « Pourquoi on ne peut pas aller prier avec eux, on vient de jouer avec eux ? » C’était comme ça dans le temps. J’étais enfant et je me disais qu’un jour, j’allais dépasser ces limites. Ça m’a toujours préoccupé.
Plus tard, j’ai commencé à animer des pèlerinages en Terre sainte. Je baignais donc dans l’interreligieux. Au retour de mon premier voyage en Israël, je me suis dit : « Il faut faire quelque chose pour que l’unité soit ressentie entre les fils et filles d’Abraham. » J’ai fait part de ce rêve à des amis; un petit comité de cinq personnes y a réfléchi à partir de 1996 pendant deux ans pour discerner si c’est une idée folle, un rêve enfantin ou si c’est authentique, si ça vient de l’Esprit. Au terme de ces deux ans, le comité a cru que c’était opportun d’avancer sur ce chemin. On a consulté la municipalité, l’archevêque, les prêtres de la région pour éviter les possibles frictions. À l’automne 1998, nous avons eu l’autorisation de construire. Sauf la plomberie et l’électricité, tout a été bâti par des bénévoles et financé par des dons. C’est très touchant. On a fêté les 25 ans l’an passé.
Pourquoi à Pontbriand ?
Parce que j’habitais ici. Quand j’ai quitté les Assomptionnistes à Québec, j’ai trouvé un emploi en milieu scolaire à la polyvalente de Thetford Mines. En faisant du ministère, je me suis attaché aux gens d’ici.
Qui sont les gens d’autres confessions chrétiennes et d’autres religions qui viennent ici ?
Nous étions très proches de l’Église anglicane, mais elle a fermé sa paroisse dans la région. Nous avons des liens solides avec les Églises évangéliques, de cinq communautés différentes. On prie ensemble fréquemment autour de la Parole de Dieu.
Les musulmans viennent ici toutes les semaines. Ils étaient 50-60 vendredi passé. Ils viennent prier dans la crypte du pavillon œcuménique, on la rend disponible pour eux. Ils arrivent tôt pour installer leurs tapis. Ils n’ont pas de mosquée dans la région, alors leur lieu de rassemblement est ici. Ce sont des gens d’une grande paix, des cœurs contemplatifs. C’est tellement beau de les voir prier! Je pense à saint Charles de Foucauld qui priait au milieu des musulmans, aux Petits Frères de la Croix dont l’attitude physique dans la prière vient de Charles de Foucauld. Leurs gestes sont remplis d’adoration.
L’aspect œcuménique et interreligieux du lieu a‐t‐il suscité des critiques?
À l’occasion. Il y a des gens qui n’aiment pas ça. Des catholiques d’extrême-droite n’aiment pas qu’on ait un croissant sur le pavillon œcuménique : « Quand vous enlèverez le croissant, on reviendra prier chez vous. » Pas des vieux, ils n’ont pas 30 ans ceux dont je parle… Par contre, la plupart du temps, les visiteurs s’émerveillent de ça.
Robert Lebel devant le pavillon œcuménique du Versant‐la‐Noël.
Qu’est‐ce qui vous occupe par les temps qui courent?
Depuis ma maladie, tout a changé, j’ai arrêté. Je nourris quelques correspondances, mais je me fatigue vite. Pour lire, c’est pareil. Je fais le minimum pour aider ici; je ne peux pas animer une retraite, mais je peux faire la mise en page du programme de retraite, je communique avec nos familiers. Je viens ici tous les jours, je vais à l’oratoire et me mets en présence, une demi-heure, une heure… Je sais que des gens comptent sur notre prière.
Je nourris aussi des projets de vidéos avec mes chants et prépare un album : mes voix ont été enregistrées avant mon infarctus et le chœur, il y a trois semaines. Ça devrait sortir cet été. Le titre de l’album n’est pas définitif, mais il s’appellera probablement Le désert fleurira.
Vous aurez 75 ans cette année. Comment vous voyez ça, trois quarts de siècle ?
Je n’en reviens pas ! J’ai toujours pensé que je mourrais plutôt jeune. Mes oncles et tantes sont tous décédés autour de la soixantaine. Le cœur. Et j’ai eu une vie pas standard : les tournées, c’est très dur. Tu manges à toutes sortes d’heures, tu voyages, tu dors peu. J’ai aussi été fumeur pendant plusieurs années. Rien de très sain. Je me disais: « Si mes oncles sont morts à 60 ans, je vais en enlever 10 pour moi: 50 ans. » Et 25 ans plus tard, je suis encore là. C’est un bonus, un beau bonus !