Memento mori
ÉDITORIAL par Stéphane Gaudet, rédacteur en chef
Novembre 2021
« Souviens-toi que tu es mortel. » C’est la traduction de la locution latine Memento mori, qu’un de mes amis s’est fait tatouer sur l’avant-bras. Mais pourquoi diable avoir choisi une phrase pareille à 29 ans ?
« Ça vient de l’Antiquité, m’explique-t-il. Un soldat le disait à un général victorieux pour lui rappeler de ne pas s’enfler de vaine gloire, qu’il demeurait un simple mortel. » D’accord, mais mon ami n’est pas un général romain.
Depuis l’âge de cinq ans, il est toujours malade, ou presque : hémophilie, asthme, côlon irritable, anémie, migraine chronique… Il était souvent à l’hôpital dans son enfance et son adolescence. Les médecins lui ont même dit, à 16 ans, qu’il ne verrait pas la trentaine. Une opération à l’intestin en 2014 l’a beaucoup aidé, mais il prend encore huit pilules par jour. « Grosse amélioration, j’en ai déjà pris 15 ! » Son histoire médicale lui a fait comprendre très jeune que la vie ne tient toujours qu’à un fil. Il s’était fait à l’idée qu’il ne vivrait pas vieux. Il avait même fait son deuil. Depuis toujours, il vit dans l’ombre de la mort.
Aussi, une conversation avec un soldat vétéran de son patelin l’avait fait réfléchir. « Le bonhomme avait vu la mort de près, mais malgré toutes les horreurs de la guerre, sa philosophie de la vie était : mieux vaut en rire qu’en pleurer ! Tu n’as pas le choix, sinon tu es déjà mort. »
Mon ami n’est pas croyant, mais il a grandi dans une famille chrétienne évangélique. Chez lui, la mort n’était pas quelque chose de négatif puisque c’était aller vers Dieu. « S’il y a une seule chose dont on peut être certain dans la vie, c’est qu’on va tous mourir. C’est inévitable. Alors pourquoi en avoir peur ? »
Se savoir mortel fait en sorte que mon ami profite de chaque instant, préférant les remords aux regrets. Mais ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi: les valeurs chrétiennes, qu’il conserve même s’il est maintenant agnostique, lui interdisent de ne penser qu’à lui-même et de nuire à son prochain.
Son tatouage, qu’il regarde plusieurs fois par jour, il l’a fait faire sur la cicatrice d’une tentative de suicide, plus appel à l’aide que réelle volonté de mourir. Aujourd’hui, il travaille fort sur lui-même pour régler ses problèmes et fait d’immenses progrès. « Voir mon tatouage tous les jours me garde sur terre. Il m’a aidé ces derniers mois. Je crois bien que je verrai la trentaine, finalement. J’apprends à vivre, pas seulement survivre en attendant la fin. » Contrairement aux gens de sa génération pour qui la mort apparaît comme une réalité lointaine à laquelle on ne pense pas, pour lui, la mort n’est pas un sujet tabou et fait partie de sa vie.
Je trouve qu’il a beaucoup de sagesse pour ses 29 ans, mon ami.