Nos années vingt
ÉDITORIAL par Stéphane Gaudet, rédacteur en chef
Juillet-août 2021
Depuis le 28 mai, date du début du déconfinement au Québec, notre société semble vivre une espèce d’euphorie. Les terrasses des restaurants sont envahies, des rassemblements ont lieu dans les parcs, les gens recommencent à se rendre visite. Une euphorie bien prévisible : quand l’être humain a été privé de quelque chose…
Certains observateurs croient que cette effervescence est un avant-goût de ce qui attend le monde pour la décennie qui vient. Ils n’hésitent pas à dresser un parallèle entre les années 1920 et nos années vingt. On a qualifié d’« années folles » la décennie 1920-29. Après avoir vécu les horreurs de la guerre de 1914 à 1918 et subi la pandémie de la grippe espagnole de 1918 à 1921, l’Occident avait décidé de profiter de la vie au maximum et de s’amuser. « Plus jamais ça ! », se sont dit les nouvelles générations rêvant d’un monde différent. Fini les privations et les sacrifices ! Sur fond de forte croissance économique sont apparues la consommation de masse, la culture du divertissement (radio, cinéma, jazz, charleston, etc.) ; l’automobile s’est démocratisée, l’usage de l’électricité et des électroménagers s’est généralisé.
On sait que ça a mal fini : un krach boursier en octobre 1929 a plongé la planète dans une profonde dépression économique qui allait durer dix ans. Et c’est au cours des années 1920 qu’on a assisté à la montée du fascisme, menant à une guerre mondiale encore plus dévastatrice que celle de 14-18.
Avec la pandémie qui semble tirer à sa fin (souhaitons-le), un peu de plaisir et d’insouciance est normal. Il ne faudrait toutefois pas que cette insouciance devienne la norme de la décennie qui commence, comme ce fut le cas il y a un siècle. L’excès, par définition, est toujours mauvais, la modération a bien meilleur goût ! Ce n’est pas parce que quelque chose n’est plus interdit qu’il est judicieux de le faire. L’apôtre Paul a écrit dans sa première lettre aux Corinthiens : « Tout est permis, mais tout n’est pas bon » (10,23). Le plaisir à tout prix est l’ennemi du bonheur. Une décennie de jouissance hédoniste de la vie ne serait qu’une fuite en avant, car les problèmes sur lesquels nous fermerions les yeux ne feraient qu’empirer et finiraient par nous rattraper.
La pandémie a permis de révéler plusieurs dysfonctionnements dans notre civilisation. Le cahier détachable sur la Neuvaine de l’Assomption, que vous trouverez au centre de ce magazine, pointe du doigt plusieurs choses qui ne vont pas bien, dans nos vies, dans notre société, dans notre monde; il serait irresponsable de les ignorer.
Alors, à quoi ressembleront nos années vingt ? À ce que nous voudrons bien en faire. Des années folles ou des années sages ? Une période de démesure aveugle aux problèmes du moment ou une époque charnière, un tournant vers un monde meilleur ? À nous de choisir.