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Ah si, je croise des employés de Transports Québec. Trois d’entre eux arpentent un terrain pour la réfection d’un pont à Inverness. Le plus jeune m’interpelle, manifestement ravi de voir un marcheur. Charles Francoeur me raconte qu’à l’aube de sa vie professionnelle, il veut «faire» Compostelle. Marquer d’un geste fort son entrée dans l’univers du travail lui apparait vital. Je l’y encourage, touché à la fois par son enthousiasme communicatif et par son souci d’équilibrer, à un jeune âge, la partie de soi qui est en mouvement et l’autre qui tend à prendre racine.

Devant l’hôtel de ville de Kinnear’s Mills, le pays semble soudain s’animer. Ça fourmille de vie dans le parc municipal voisin, que longe la rivière Osgood. La pluie ne trouble pas le joyeux brouhaha des enfants d’un camp de jour. Je me laisse gagner par leur énergie.

S’orienter

C’est presque devenu un réflexe, dans chaque village, je repère l’église. Autant pour m’orienter que pour me rassurer. Le clocher qui cherche le ciel m’exhorte à lever les yeux, à dépasser mes pré- occupations habituelles. Large à la base, affiné au sommet jusqu’à devenir un point que domine la croix, il invite par sa présence muette à un dépouillement progressif. Il préfigure une existence humaine qui s’approche de sa fin sur terre pour commencer une suite au ciel. À l’image du pèlerinage de notre vie, en somme.

Eh bien, des églises, j’en vois quatre. Oui, Kinnear’s Mills, 350 habitants, compte quatre églises, regroupées en trois entités : une catholique, une anglicane et deux de l’Église Unie. Le périmètre de ces quatre lieux de culte forme le cœur historique du village. La municipalité a récemment acquis l’église catholique Sainte-Catherine-Labouré (photo), érigée en 1951, désacralisée en 2016, les fidèles n’arrivant plus à l’entretenir.

Tranquille, la Révolution

Ce qui m’amène à réfléchir à l’histoire récente du Québec, à sa Révolution dite « tranquille », un qualificatif qui m’a longtemps intrigué. Tranquille, parce que l’État a pris le relais de l’Église (éducation, santé, etc.) sans effusion de sang, contrairement aux révolutions française et russe. Tranquille, pas tant que ça pourtant, puisque le meilleur de la tradition aussi a été rejeté en bloc, notamment au plan communautaire.

J’ai d’ailleurs du mal à saisir l’intensité du ressentiment contre le fait religieux, moi qui vis au Québec depuis 42 ans. Dénoncer le cléricalisme dans ses excès et abus de pouvoir, d’accord, car il est juste de rendre des comptes. Cela dispense-t-il pour autant de l’interrogation spirituelle sur le sens de la vie qui, pour certains, demeure entière et pressante?

Tranquille également, la Révolution, parce que l’État n’a pas dépossédé l’Église de ses biens. Mais la désertion des fidèles a tari ses revenus et il revient à la collectivité, comme à Kinnear’s Mills, de s’occuper de l’église. Pour en faire quoi =? Et comment les protestants, eux, se débrouillent-ils ?

Ma curiosité naturelle reprend vite le dessus, d’autant que ça me bouleverse de voir disparaître des lieux de vie communautaire. Je décide donc de revenir au village pour approfondir les choses et rencontrer les autorités.

Besoin d’amour

Paul Vachon, le maire, ne cache pas sa frustration. «Les catholiques, majoritaires, ferment leurs églises à tout-va. Avec environ 10% de la population dans notre village, la communauté anglophone réussit à conserver les siennes!» L’Église Unie a en effet un culte tous les trois dimanches; côté catholique, une seule messe annuelle, à Noël ! «On en est rendu à fermer les églises, déplore Claudette Perreault, directrice générale du village. Vraiment, nos églises ont besoin d’amour!»

Une quarantaine de citoyens ont ouvert la boîte à idées pour inventer une deuxième vie à l’ancienne église catholique : garderie, bibliothèque, café-rencontres, marché public, columbarium, refuge pour marcheurs? Ou une combinaison de ces vocations? En attendant, on a procédé aux travaux d’urgence – réparer le toit, prévenir les infiltrations d’eau au sous-sol, etc.

Le cœur du village étant un site historique, on a les mains liées, précise le maire. « Beaucoup de normes, peu d’argent au ministère de la Culture.» Plus de contraintes que d’avantages donc, pour une église qui n’est pas patrimoniale.» On ne peut certes pas tout conserver, poursuit Paul Vachon, aussi préfet de la MRC des Appalaches (19 municipalités). «Mais nos églises, c’est notre image, notre âme. Et si on perd notre âme, il nous reste quoi?»

Pour James Allan, conseiller municipal et membre de l’Église Unie, l’église est avec l’école la base de la vie communautaire. « Mais c’est la communauté qui importe, pas le bâtiment. » Ayant entrepris de rénover lui-même l’une des églises, il a vu avec bonheur des citoyens venir lui proposer spontanément leur aide.

Quelque chose est en train de mourir au plan religieux, résume Lucie Berthiaume, responsable de la pastorale. Je lui demande si l’heure n’est pas venue, comme jadis, de célébrer le culte dans des maisons privées. «Peut-être qu’on y reviendra. Peut-être aussi que du neuf cherche à naître, non au service d’une institution, mais pour le bien des personnes.»

Elle évoque les aidants naturels, qui ont tant besoin de soutien. Et mentionne que la communauté a récolté 13 000 $ pour aider un jeune accidenté du travail.

«N’est-ce pas cela aussi, être chrétien?»

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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