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Odanak, entre tradition et modernité

REPORTAGE par Claudette Lambert

          avril 2024

Odanak est une réserve abénaquise qui longe la rivière Saint‐François, dans la MRC de Nicolet‐Yamaska. À l’heure des revendications menant à la reconnaissance de leurs droits, de la prise de parole sur les blessures intergénérationnelles qui exigent excuses et réparation, comment les Autochtones d’Odanak vivent‐ils leur culture et leur spiritualité ?

PHOTOS : CLAUDE LACASSE

En apparence, peu de choses distinguent Odanak des paroisses voisines, sinon quelques totems répartis sur le territoire et les noms de rues évocateurs des traditions abénaquises. Un petit village paisible qui vit au rythme de la modernité. Surplombant la rivière, l’imposant Musée des Abénaquis nous fait découvrir la riche culture autochtone, et au cœur du village, l’église catholique offre un lieu d’accueil où se côtoient foi chrétienne et spiritualité amérindienne. Et c’est dans cette petite église au charme bucolique que j’ai rencontré Pierre Houle (photo), curé missionnaire à Odanak depuis 2006. Celui que les paroissiens surnomment affectueusement « l’abbé Naqui » habite sur le territoire de la réserve et dessert plusieurs paroisses avoisinantes.

« J’ai toujours été très soucieux d’intégrer la spiritualité abénaquise et la spiritualité chrétienne, dit-il, j’ai développé des rituels qui respectent les deux cultures. C’est une question de respect envers les populations autochtones, c’est une façon d’avancer ensemble sur le chemin de vérité et de réconciliation. »

De toute évidence, il aime ces gens. Avant la pandémie, il déjeunait tous les samedis avec les aînés autochtones et participait le mardi au dîner communautaire. « Les Abénaquis sont des pratiquants occasionnels, le fond chrétien est demeuré davantage ici que dans certaines communautés comme chez les Mohawks, où on peut sentir beaucoup de méfiance, même un rejet du christianisme, consécutifs à plusieurs éléments de l’histoire. »

LA SPIRITUALITÉ DES ABÉNAQUIS

Pierre Houle décrit la spiritualité des Abénaquis comme une spiritualité très communautaire et familiale, en syntonie avec la nature. Le symbolisme des animaux intégrés dans les totems est très parlant : Awassos, l’ours, symbole de force, le Grand-Esprit représenté par l’aigle et Tolba, la grande tortue, qui symbolise la terre mère et la sagesse. Si la force ne s’appuie pas sur la sagesse, elle est vaine et contre-productive.

« Pour s’intégrer, poursuit Pierre Houle, il faut changer notre regard, laisser tomber la méfiance et les préjugés, demeurer bienveillants et admiratifs en reconnaissant l’importance de leur histoire, la richesse de leur culture et la beauté de leur spiritualité. Pour moi, intégration ne signifie pas trahison. Il ne s’agit pas d’intégrer des éléments qui se contredisent ou s’opposent, mais des éléments qui se complètent et s’enrichissent mutuellement. »

La mort tragique de Joyce Echaquan, le drame des femmes autochtones assassinées et la découverte des sépultures anonymes près d’un pensionnat à Kamloops ont provoqué une onde de choc qui s’est propagée jusque dans le petit village d’Odanak. Pourtant, les Abénaquis ont été moins marqués par le drame des pensionnats que dans l’Ouest canadien. Danielle Lamirande, abénaquise et travailleuse sociale, a étudié à l’Académie Saint-Louis, tenue par des religieuses. Elle affirme avoir subi moins de racisme que les aînés de sa communauté, même si l’enseignement de l’histoire avait de quoi traumatiser…

«Les curés ont toujours joué un rôle de psychologue auprès des familles. Certains d’entre eux étaient extrêmement sévères et traitaient la population comme des enfants. Mais pas seulement les Autochtones… Bien sûr, nous avons eu des coups de règle sur les doigts, nous n’avions pas le droit de parler notre langue. Avec les amis en dehors de la communauté, il y avait aussi du racisme. Ma mère avait des traits plus marqués que les miens et se faisait traiter de sauvagesse. Il reste des blessures intergénérationnelles difficiles à guérir. Mais les conséquences ont été plus fortes ailleurs qu’ici.»

La Loi sur les Indiens de 1920, qui enlevait aux Autochtones le droit de vivre selon leur culture, a modifié la structure sociale, et c’est en cachette dans les bois qu’ils ont continué d’accomplir leurs rituels sacrés. « Oui, ils ont été évangélisés, affirme l’abbé Houle, le christianisme a pénétré leur cœur sans qu’ils abandonnent leur spiritualité traditionnelle. L’église ici est très importante pour les Abénaquis francophones. Il y a aussi une petite chapelle pour les anglophones de tradition anglicane, mais il y en a peu à Odanak. »

Danielle Lamirande observe que chez les Abénaquis, la vie traditionnelle n’existe plus depuis longtemps. Ils sont proches de leur culture et de leur spiritualité lors d’événements comme le Pow Wow ou les fêtes du solstice. « Les jeunes revendiquent plus que nous. » Et elle ajoute avec une certaine hésitation: « Je n’aime pas dire que nous sommes assimilés, mais plutôt adaptés à notre environnement occidental. Les gens âgés sont très catholiques, très croyants, ils portent souvent des chapelets dans le cou, mais ne vont pas nécessairement à l’église. »

LE POW WOW, MOMENT PHARE

En collaboration avec une équipe de la réserve, Pierre Houle prépare avec soin la grande célébration eucharistique du dimanche matin lors du Pow Wow annuel en juillet. C’est le moment de célébrer la fierté abénaquise et d’accueillir la diversité culturelle des peuples dans la fraternité. « Toujours dans l’esprit de la Commission vérité et réconciliation, nous marchons ensemble, avec de nombreux allophones et d’autres communautés des Premières Nations. Les Autochtones revêtent leurs costumes traditionnels, le chef porte sa coiffe couronnée de plumes d’aigle et la langue abénaquise côtoie la langue française. »

La grande procession des offrandes est aux couleurs des Abénaquis, en lien avec leur culture, leur artisanat et leur histoire. Au rituel chrétien de la paix succède le rituel du calumet de paix présenté aux quatre directions. La communion eucharistique se fait toujours avec la bannique, les paroles du chef relaient les paroles du curé missionnaire et les chants chrétiens alternent avec des chants abénaquis pendant que les hommes battent les tambours pour le chant d’honneur qui conclut la célébration.

DES RITUELS SIGNIFIANTS

La décoration de l’église dénote un grand souci d’intégration : le Christ en croix est encadré par deux grands totems abénaquis, la croix figure au centre du capteur de rêve et sous le chemin de croix, un long chemin de vie couvre les murs, illustrant des scènes de la vie traditionnelle ponctuées par des paroles de sagesse gravées sur des panneaux de bois verni. Les jeunes parents sont pour la plupart déconnectés de leur culture et plusieurs couples sont mixtes. Comment faire une célébration signifiante pour le baptême de leur enfant ? « Je devais baptiser une petite fille dont le nom abénaqui signifiait “lune sucrée”. J’ai mis dans le bassin d’eau un peu de sirop d’érable pour lui souhaiter une vie heureuse au bon goût de sirop d’érable, parce qu’on sait que ce sont les Autochtones qui ont enseigné aux Français la manière d’extraire l’eau d’érable. » Lors d’un baptême, il arrive que le prêtre invite toutes les femmes à prendre le bébé à tour de rôle. Chacune d’elles reçoit une plume blanche pour lui rappeler qu’il faut un village pour élever un enfant et que toute la communauté doit se responsabiliser.

Les cercles de parole sont une occasion particulière pour les gens d’échanger librement, pour verbaliser leurs expériences, leurs questionnements et leurs doutes. Le bâton de parole passe de l’un à l’autre et quand la personne tient le bâton, personne ne lui coupe la parole, chacun a le droit de s’exprimer jusqu’au bout. Quand les célébrations se font à l’extérieur, prières et souhaits sont brûlés dans le feu sacré qui représente la vie. La fumée les porte vers l’Esprit, à la fois Grand-Esprit, Saint-Esprit et esprit des ancêtres.

Danielle Lamirande : « J’ai toujours ressenti la résilience et l’humour qui ont sauvé mon peuple. »

PROBLÈMES SOCIAUX ?

La travailleuse sociale affirme que oui, il y a des problèmes de pauvreté, de chômage, d’alcoolisme, de violence conjugale, comme dans tout autre milieu, mais rien de comparable à d’autres communautés ailleurs au Québec. « Ici, les défis à relever sont les mêmes que ceux de là-bas, sauf qu’on a plus de moyens. Il y a des emplois dans la réserve et des services tout autour. Nos aînés, comme ailleurs, vivent de l’isolement. Ils ont de nombreux deuils à faire : perte d’autonomie, de vision, le cercle disparaît, la famille s’éloigne. »

Elle poursuit : « J’ai toujours ressenti la résilience et l’humour qui ont sauvé mon peuple. La terre ne nous appartient pas, nous appartenons à la terre. Le meilleur thérapeute, c’est la nature. En période de stress, allez vous asseoir sous un arbre qui a encore ses feuilles, écoutez l’arbre vous parler, ça vaut toutes les thérapies du monde. Comment faire en sorte que les gens reviennent à eux-mêmes ? Par la nature ! C’est elle qui nous a mis au monde. »

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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