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Pèlerins et hôtes, allons marcher ensemble!

CHEMIN FAISANT par Michel Dongois

Que seraient les pèlerins sans celles et ceux qui les accueillent? Peut-on dissocier le nomadisme de la sédentarité des autres?

Je méditais leur interaction dynamique en repartant de chez Jules et Fanny, au Jardin du sous-bois, à Saint-Fortunat, dans Chaudière-Appalaches. C’est avec eux notamment que j’ai saisi combien certaines valeurs retrouvées lors d’un pèlerinage (hospitalité, partage, simplicité, harmonie avec la nature) sont transposables dans notre quotidien. Transposables, en autant qu’on décide de s’ouvrir à des états d’âme inhabituels, à des perceptions nouvelles, surtout à l’égard d’autrui. « Participer au Chemin, comme marcheur ou hébergeur, c’est marcher vers soi et vers les autres», affirme Jules Bédard. De la musique à mes oreilles, moi qui vois dans le pèlerin d’abord un être de rencontres.

La sobriété heureuse

Dès le départ, Jules Bédard et Fanny Viret (photo) ont perçu Le Chemin comme un terrain possible d’échanges profonds et bien sentis, vécus dans la convivialité. Fanny l’a d’ailleurs foulé en 2015. « Nous avons l’occasion de partager nos lieux et notre façon de mettre en œuvre ce que l’on croit juste et bon. Sans l’imposer, mais en l’offrant comme un exemple possible. »

Leur exemple à eux, c’est « la sobriété heureuse », une expression de Pierre Rabhi, écologiste. Il s’agit de limiter sa consommation et ses dépenses, en acceptant d’avoir des revenus moindres. «Nos choix de vie y tendent : une seule vieille voiture, peu d’achat de nourriture ou de loisirs coûteux, etc.» Le couple dit trouver son bien-être sur son propre domaine, entre autres par des balades quatre saisons et l’observation d’animaux, «de la luciole à l’orignal».

Venue de Suisse, Fanny exploite avec Jules, natif de Saint-Fortunat, un terrain forestier de 53 hectares. Ils ont construit leur maison, un atelier, une serre, un poulailler, une cabane à sucre, des abris pour les chevaux. Le couple produit l’essentiel de son alimentation de base. Il cultive divers légumes, de l’ail, des bleuets, dont la vente constitue un revenu.

Ce mode de vie, parfois aussi source de fatigue et de soucis, nous apporte joie et bonheur, poursuit Fanny. «Comme il implique un lien fort à moi-même et à mon environnement, il me paraît préférable à ce que j’ai connu avant, dont le travail salarié.»

Marcheuses surtout

«En tant qu’hébergeurs, nous nous redécouvrons nous-mêmes à travers le regard des marcheurs.» En fait, il s’agit plutôt de marcheuses, précise Fanny, des femmes dans la cinquantaine surtout. «Elles ressentent le besoin de prendre du temps pour (re)découvrir leur intuition, leur sensibilité, leurs aspects dits “féminins” que les hommes portent aussi, selon nous, mais qu’ils n’ont pas été amenés à valoriser. N’oublions pas d’ailleurs les quelques hommes magnifiques qui osent la démarche!»

Elle poursuit : «Les marcheuses nous offrent qui elles sont. Nous recevons la personnalité, l’énergie de chacune, les réflexions qu’elles choisissent de nous partager. C’est inspirant et touchant pour nous et pour elles.»

J’ai sondé divers hospitaliers sur les motivations des marcheurs. Plusieurs recherchent simplement le plein air. Il est souvent question aussi d’un désir de remise en forme, du passage d’un cap difficile, d’une transition de vie. Tous tablent alors sur le pouvoir transformateur du chemin pour rompre un temps avec l’étroitesse du quotidien, se confronter à soi- même dans un contexte de déstabilisation volontaire. Histoire de poser ainsi un regard neuf sur sa vie ou sur une situation qui préoccupe.

Démarche personnelle

Itinéraire physique et géographique, le pèlerinage façonne aussi un paysage intérieur, enrichi par les rencontres. «Une chaîne se forme entre les marcheurs et nous», témoigne Maryse Turcotte, de la Maison Payeur, à Saint-Sylvestre, dans Lotbinière. Disant admirer particulièrement la complicité des couples en marche, elle a aussi été témoin de drames. «J’ai accueilli un couple dont la dame était démolie par le suicide de son fils; son mari tentait de la soutenir au mieux.»

Quand se mettre en route? La marche étant une démarche, la réponse est forcément personnelle. En ce qui me concerne, crise de la quarantaine oblige, j’ai pérégriné seul du Puy-en-Velay à Compostelle (1995). Et marché Le Chemin des sanctuaires, de Montréal à Sainte-Anne-de-Beaupré, avec ma com- pagne, Martine Robertson, pour la joie de cheminer ensemble (2000). J’ai relié à pied la cathédrale de Chartres au Mont-Saint-Michel en 2018, pour souligner ma retraite. Des expériences charnelles et spirituelles, avec des bénéfices différés : je crois y avoir gagné plus de confiance en moi et en l’avenir.

Dans le présent de la rencontre

«J’accueille des gens qui veulent se découvrir et tenter de régler les problèmes vécus au travail ou à la maison, avec les enfants ou un mari trop possessif», constate Chantal Bolduc, de Kinnear’s Mills. «Un questionnement revient souvent: dois-je prendre ma retraite ou non?» Elle a vu défiler, entre autres, une femme de 21 ans, une dame de 80, un jeune homme de 23 ans marchant avec sa mère, et plusieurs fois le tandem mère/fille. Et accueilli un soir cinq amies d’enfance réunies sur Le Chemin!

«Au début de l’expérience du Chemin, j’étais sur le qui-vive, ne sachant trop qui j’allais recevoir, raconte-t-elle. Mais des marcheurs, ça installe une tout autre ambiance que des gens motorisés. Les pèlerins cherchent quelque chose ou veulent pousser plus loin ce qu’ils ont.» Les échanges éphémères n’empêchent pas la profondeur et l’intériorité dans le présent de la rencontre. «J’ai vu des gens arriver étrangers et repartir amis.»

Chantal Bolduc ferait-elle Le Chemin ? «Je ne dis pas non. Des marcheurs m’ont fait rêver en racontant leur histoire. Le partage humain, ça vaut de l’or!»

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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