Éditoriaux
Plus catholiques que le pape
ÉDITORIAL par Stéphane Gaudet, rédacteur en chef
OCTOBRE 2019
En pleine Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, en janvier dernier, un prêtre prêche sur l’œcuménisme. Un fidèle, furieux, vient à sa rencontre après la messe. «Ce que vous avez dit est hérétique, vous ne condamnez pas les protestants.» Le prêtre lui rétorque qu’il s’est appuyé sur des textes du pape François lui-même pour rédiger son homélie. Peine perdue. L’homme conclut l’échange de façon péremptoire : «Le pape François est hérétique, lui aussi.»
Si ce sentiment que le pape actuel est infidèle aux enseignements de l’Église n’était partagé que par quelques individus qui se croient plus catholiques que le pape, il n’y aurait pas lieu d’écrire sur le sujet. Le problème est qu’en haut lieu, appuyés par des milieux riches et puissants, certains font un véritable travail de sape contre François, qui n’a pourtant rien changé à la doctrine catholique. Dans un livre-enquête qui vient de paraître, Comment l’Amérique veut changer de pape, le correspondant permanent du journal La Croix à Rome Nicolas Senèze décrit les rouages de cette opposition frontale au Saint-Père. Celle-ci a culminé, en août 2018, par la lettre de Mgr Viganò, ancien nonce aux États-Unis, demandant la démission du Pape et minant la crédibilité de potentiels successeurs. Un geste que plusieurs observateurs assimilent à une tentative de coup d’État.
Aux yeux de ses opposants, dont beaucoup sont aux États-Unis, très fortunés et proches de milieux politiques conservateurs, le pape François est trop préoccupé par les questions sociales et environnementales, pas assez strict sur les questions morales (avortement, homosexualité, divorcés remariés) et trop critique de l’ordre économique capitaliste et de la mondialisation néolibérale dont ils sont parmi les bénéficiaires. À leur grand dam, François ne mène pas une guerre culturelle contre la modernité. Son approche pastorale, moins doctrinaire que celle de ses prédécesseurs, tenant compte de la réalité vécue par les personnes, les déstabilise tout autant.
Plusieurs considèrent que l’Église catholique est très bien comme elle est et ne souhaitent pas qu’elle change. Que le Pape lui-même critique certaines de ses manières de faire et veuille la réformer les trouble au plus haut point. Qu’à cela ne tienne, c’est justement pour cela que François a été élu évêque de Rome en 2013. Ce dernier est bien conscient qu’il ne verra probablement pas sous son pontificat l’aboutissement de ses réformes. Au mieux peut-il tout faire pour que celles-ci soient irréversibles.
Comme ses prédécesseurs avant lui, François nomme des cardinaux proches de sa ligne de pensée. Le 1er septembre dernier, prenant le monde par surprise, il a annoncé la création de 13 nouveaux cardinaux, dont 10 électeurs, lors d’un consistoire le 5 octobre. Avec ces nominations, pour la première fois, plus de 50% des cardinaux électeurs – ceux qui choisiront le prochain pape – ont été désignés par François.
Ne nous leurrons pas : l’Église est une réalité aussi temporelle que spirituelle, elle n’échappe pas aux jeux politiques!