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Quand la beauté nourrit l’âme

CHEMIN FAISANT par Michel Dongois

Ce qui échappe au regard quand on file en auto saute aux yeux du marcheur qui chemine dans la lenteur. Se révèle alors à lui l’envers du décor. Quel constat affligeant par exemple de voir fossés et bords de routes parsemés de détritus!

Cartons, cannettes, plastique à la tonne, sacs de chips, verres à café, sacs Tim Hortons et McDonald’s parfois complets (fourchette, verre, paille), styromousse, paquets de cigarettes. Et j’en passe. Des objets hétéroclites aussi : gants, briquets, chaussures, vêtements. Déchiquetés, ces déchets se retrouvent dans les étables, dans le foin que mangent les vaches. Parlez-en à Chantal Bolduc.

Bouteille à la mer

L’agricultrice de Kinnear’s Mills, qui héberge les pèlerins du Chemin, doit régulièrement nettoyer les fossés qui longent ses champs. C’est à la fonte des neiges qu’elle découvre l’ampleur du désastre, avec, dans l’ordre, surtout du plastique en tous genres ainsi que des bouteilles et cannettes de bière. Le vent éparpille les déchets, les crues printanières les emportent au loin.

Ensemble, elle et moi, nous avons suivi en esprit l’itinéraire d’un déchet balancé dans le petit ruisseau sans nom qui coule sur ses terres.

Comme une bouteille à la mer, l’épave se retrouve dans la rivière Sunday, qui conflue avec la rivière Palmer, puis se jette dans la rivière Bécancour, qui se déverse dans le fleuve Saint-Laurent, et flotte vers l’océan.

Dans sa plantation de pins et de sapins, pourtant assez éloignée du chemin, il lui arrive de ramasser… de pleins sacs d’ordures. Pas vu, pas pris! Comme on est dans une zone peu habitée, dit-elle, des pollueurs s’en donnent à cœur joie. Certains agriculteurs participent aussi à la pollution, en laissant traîner les plastiques d’enrobage pour les foins.

Et la nature?

Au vu de cette pollution délibérée, je me demande ce qu’est devenu notre lien à la nature, à la terre qui nous porte, pour en arriver ainsi à tant la mépriser. Au-delà des beaux discours sur l’écologie et l’urgence climatique, comment rendre nos lieux de vie plus habitables? J’ai abordé cette question qui me préoccupe avec François Poirier, propriétaire d’un camping à Inverness, lors d’une halte de repos.

Les vacanciers ont tous le mot environnement à la bouche, me di-t-il, mais beaucoup adoptent des comportements parfois irrationnels. «Au nom de la protection de la nature, certains me reprochent de couper un arbre mort, mais ils achètent du bois pour le feu du soir et traînent une immense roulotte derrière leur gros pickup!» Des parents ont déploré que le sentier forestier menant aux chutes Lysander comporte… des racines et des branches! Des citadins voulant pourtant vivre à fond la campagne protestent contre la présence d’une souris dans leur roulotte. Une dame lui a demandé si le carré de sable pour enfants était décontaminé. « Mais on laissera nos jeunes des heures durant seuls devant un écran, à ingurgiter parfois n’importe quoi!»

J’étais quelque peu découragé en poursuivant ma route. Heureusement, la beauté des choses enchante le pèlerin. Comme la vue de ces nombreuses cabanes d’oiseaux accrochées aux poteaux d’Hydro. Quelle belle initiative ! Je pense aussi à l’heureuse surprise de Chantal Bolduc lorsqu’elle a vu une pèlerine arri­ver avec un sac rempli de cannettes qu’elle avait ramassées en chemin. «La dame a repris son sac le lendemain matin pour poursuivre son nettoyage à l’étape suivante.»

Un petit paradis

Lorsque Muriel Ricbourg, du Manoir d’Irlande, m’a fait découvrir les Jardins de vos rêves (photo principale), j’étais réconcilié à nouveau avec l’humanité. D’instinct, je me suis senti bien dans ce petit paradis de deux hectares, que mettent en valeur depuis 1975 Sonia Mondor et Pierre Séguin, à Saint-Ferdinand.

Leur aménagement paysager hors du commun expose les cinq éléments (terre, feu, eau, bois, pierre). Le couple s’est inspiré des idées de beauté glanées lors de voyages en Asie et en Amérique du Sud surtout, qu’ils ont traduites dans leur jardin. Celui-ci harmonise, dans un décor théâtral, végétaux et œuvres d’art (sculptures, peintures, créations diverses) souvent composées à partir de matériaux recyclés.

Nourrir l’âme par la beauté, c’est la raison d’être de notre passion, précise Sonia Mondor. Le jardin «ouvre la porte à la profondeur spirituelle du monde », écrit le couple dans son livre Semeurs de

rêves. Il nous dispose au recueillement et à la sérénité, ajoute la jardinière, qui se dit « en mission de beauté ». Le jardin est surtout un lieu de ressourcement. « Le visiteur en ressort stimulé à continuer à embellir son environnement et par le fait même à donner un bon coup de pouce à la planète. »

La beauté qui guérit

J’aurai ainsi ressenti en quelques heures à la fois la laideur de la pollution délibérée et la beauté cultivée avec conscience. Une beauté qui contribue à guérir le monde, comme un rappel que l’être humain peut reprendre le travail là où la nature l’a laissé, cultivant une connivence nouvelle avec la terre.

Dans cet endroit paisible et apaisant, les défenses tombent, observent les jardiniers, le cœur se laisse apprivoiser, les émotions refont surface. « J’ai vu des motards s’attendrir en visitant les lieux, des femmes atteintes de cancer avoir les larmes aux yeux», témoigne Sonia Mondor.

«La beauté sauvera le monde», écrivait Dostoïevski. Je me suis mis à imaginer qu’elle pourrait aussi contribuer à humaniser la ville. N’est-il pas en effet écrit quelque part que l’aventure humaine ébauchée au Jardin d’Éden doit s’accomplir en ville, dans la Jérusalem céleste?

Fort de cette imagination, j’ai repris ma route, un peu réconforté à l’idée qu’un autre monde est possible. Et que le changement est déjà en marche.

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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