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Les maladies de l’âme

ENTREVUE par Jérôme Martineau

          JANVIER-FÉVRIER 2020

                                                                 PHOTO: JÉRÔME MARTINEAU

Chaque personne redoute la venue de la maladie dans sa vie. Chaque maladie est perçue comme une menace. Vite, nous nous dirigeons chez le médecin. Est-ce que nous avons les mêmes préoccupations lorsqu’un maladie spirituelle vient entraver le travail de Dieu en nous?

Sœur Catherine Aubin porte un diagnostic éclairé sur les maladies spirituelles qui affectent notre âme dans un livre très intéressant qui porte le titre : Sept maladies spirituelles. Elle écrit dès les premières lignes : «Cet ouvrage se veut un court traité de jardinage intérieur pour apprendre à soigner, tailler ou arracher les mauvaises herbes qui empêcheraient les bonnes graines de pousser et de croître.»

Sœur Aubin enseigne la théologie spirituelle à Rome et à Montréal. Elle est religieuse dominicaine de la Congrégation romaine de saint Dominique. Elle se présente d’abord comme une femme qui a été un jour saisie par l’amour de la prière de saint Dominique. «J’ai un reçu un choc lorsque j’ai découvert les neuf manières différentes que saint Dominique enseigne de prier avec son corps.» Elle rayonne encore aujourd’hui des effets de ce choc dans sa vie.

Obstacles au travail de Dieu en nous

L’étude des maladies spirituelles a intéressé sœur Catherine lors de la lecture d’un ouvrage de Jean-Claude Larchet. Il y étudie la pensée des Pères de l’Église qui considéraient Jésus comme le guérisseur des maux de l’âme. Elle a alors compris que nous ne sommes pas seulement malades physiquement, mais aussi spirituellement.

Il est intéressant de constater que les sept maladies spirituelles dont il est question sont à quelques éléments près les sept péchés capitaux présentés par l’Église. Sœur Aubin s’explique : «Le premier auteur qui a traité ce sujet est Évagre le Pontique, un moine du 4e siècle. Il nous parle des sept pensées qui empêchent le travail de Dieu en nous. Il les nomme ainsi : la gourmandise, l’avarice, la luxure, la tristesse, l’acédie, la colère et le tout-puissant orgueil.»

Le contraire de la bénédiction

Ces maladies spirituelles sont dominées par ce que sœur Aubin appelle «le tout-puissant orgueil». Qu’est-ce qui fait qu’il en est ainsi? Sa réponse est claire : «Nous refusons le dialogue. Ce n’est pas le mal qui est originel, c’est le bien. Nous avons été créés dans la bénédiction de Dieu. L’orgueil, c’est le contraire de la bénédiction. Cette maladie est un retour illusoire sur soi dans le sens où je crois que les capacités que je possède viennent de moi. Je me coupe de la source. Je veux devenir moi-même une source. J’explique souvent que l’orgueil, c’est l’oubli de qui je suis et d’où je viens. L’oubli du fait de me recevoir comme une créature de Dieu.»

L’humilité est le contraire de l’orgueil. Elle écrit avec justesse : «Notre Dieu donne la grâce de l’humilité à celui qui s’humilie, car ce qu’il y a de plus grand en l’homme, c’est l’image de Dieu et non le péché, c’est la vie et non la mort.» Comment retrouver le chemin de l’humilité? Il n’y a, selon sœur Aubin, que la prière qui permet d’acquérir l’humilité : «Il est question ici d’une joyeuse dépendance face à Dieu. Je ne suis plus le centre de ma vie lorsque je prie.»

Consommer ou communier?

La gourmandise occupe une place importante dans les maladies spirituelles. Notre comportement devant la nourriture a des conséquences dans la manière dont nous entretenons des relations avec les autres. Sœur Aubin présente sa conception de la gourmandise : «Le lieu de la gourmandise réside dans la bouche. C’est aussi par ce canal que passent la parole et l’affection qui s’exprime par le baiser. Est-ce que j’accueille la nourriture ou est-ce que je ne fais que la dévorer? Prendre du temps à table nous fait entrer le domaine des relations. La gourmandise s’exprime aussi dans la manière dont je me comporte avec l’autre. Est-ce que je suis en relation avec lui, avec elle? L’eucharistie vient nous révéler que le pain est sacré. Il est un don qui passe par une chaîne de travailleurs qui va du fermier jusqu’à notre table. Il est important de rendre grâce pour ce don, alors que la gourmandise anesthésie notre mémoire. Vais-je consommer ou communier?»

Ego blessé

Sœur Aubin écrit que dans la Bible, il est souvent question de la colère de Dieu. Le mot colère en hébreu est accolé à Dieu 70 fois. Dieu serait-il colérique? Pourtant, la colère est perçue comme un obstacle au développement de la vie spirituelle. Sœur Catherine observe que Jésus s’est mis en colère devant les pharisiens comme devant les vendeurs du Temple. Jésus nous apprend le vrai sens de la colère. Il monte le ton devant les injustices qui se manifestent face à lui. Saint Thomas d’Aquin nous enseigne que celui qui ne se met pas en colère devant une action injuste commet un péché. C’est la colère du juste!»

Est-ce qu’il y a une colère qui devient un obstacle? Sœur Aubin nous éclaire à ce propos : «La colère dont il est ici question est ce que je nomme la colère rouge. Elle me fait sortir de mes gonds. Je ne suis plus maître de moi parce qu’on a blessé mon ego. Je suis frustré et je perds le contrôle. Il y aussi ces colères invisibles que sont la rancune et la médisance. Les Pères orthodoxes disent que cette colère vient éteindre en nous l’amour inconditionnel de Dieu pour moi et pour les autres.»

La colère a des liens avec l’orgueil. «Il y a dans la colère un mécanisme de toute-puissance. Nous avons l’impression que nous pouvons tout dire parce que nous avons raison. Nous sommes le centre du monde. Cette colère nous empêche de raisonner et discerner. Elle coupe le pont du dialogue. »

« La bonne tristesse débouche un jour sur la joie » 

PHOTO: JÉRÔME MARTINEAU

Une période de purification

Nous ne sommes pas habitués à considérer la tristesse comme un obstacle à la vie spirituelle. Sœur Aubin est convaincue du contraire. «Il y a une tristesse positive. Celle qui vient nous briser le cœur. Jésus a pleuré devant la mort de Lazare. Cette tristesse exprime notre humilité, notre affection et notre fragilité devant le malheur. Il y a cependant une autre tristesse qui est liée à la colère. J’estime alors que je n’ai pas eu ce que je voulais. Cette forme de tristesse m’isole et m’enferme. J’entre dans une longue réflexion intérieure qui ne m’ouvre pas à la joie. La bonne tristesse débouche un jour sur la joie.»

Qu’en est-il de l’acédie? Est-ce une nouvelle maladie? Non! Elle est souvent commentée par les Pères de l’Église. «L’acédie, c’est la perte d’énergie. C’est aussi l’anesthésie, le dégoût de vivre ou l’ennui. L’acédie peut aussi s’exprimer dans une recherche frénétique d’activités. Des personnes font dix choses en même temps. C’est la perte du sens de l’orientation de ma vie. C’est une forme de dépression intérieure. L’acédie peut, par exemple, se manifester dans un couple lorsqu’un des partenaires n’a plus envie d’être avec son conjoint. Il veut chercher ailleurs. Le remède à l’acédie est de rester en place et de se faire accompagner par des personnes compétentes. Le côté positif de l’acédie est le fait que c’est une période de purification. L’acédie est un mal aujourd’hui très répandu. Regarder combien de personnes passent des heures à scruter les réseaux sociaux.»

Sœur Aubin termine l’entrevue en nous invitant à être doux avec soi-même. «La douceur prend du temps. Nous vivons dans une société qui est le contraire de la douceur. Nous sommes en concurrence avec soi et avec les autres. La vie ne consiste pas à écraser les autres. Ce que je trouve encourageant, c’est le fait que de nombreux jeunes adultes veulent rompre ce cercle vicieux.»

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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