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Que reste-t-il de nos idéaux?

CHEMIN FAISANT par Michel Dongois

Je suis sagement attablé au restaurant La Cornemuse, à Inverness, lorsque Suzie Marcoux me demande si je connais les youks. « Ces gens ont joué un grand rôle dans la vie de notre village. Vous devriez rencontrer la Reine des youks ! » L’aubergiste envoie alors ses enfants, Élodie et Clovis, chercher chez la voisine un livret sur le sujet. J’y découvre un pan méconnu de l’histoire du Québec.

Piqué par la curiosité, j’ai fini par retracer la youk royale à Saint­Ferdinand, le village voisin. «Votre appel, c’est mon rayon de soleil de la journée», s’exclame Loulou De Villères (photo), écrivaine, musicienne et poète. Dans son HLM, Louise Girard, selon l’état civil, a recréé une sorte de «cour», une vie communautaire avec les autres locataires. Ils forment une famille élargie d’artistes et de poètes.

Entre ville et campagne

Louise Girard, 77 ans, est sans doute le personnage le plus coloré que j’aurai rencontré sur le Chemin. Son histoire est en résonance avec une vieille inter­rogation personnelle, tiraillé que j’ai toujours été entre la ville et la campagne.

Les youks donc. «Ne cherchez pas ce mot dans le dictionnaire, il n’y est pas!» C’est le surnom donné par les Invernois à la trentaine de familles arrivées de la ville, entre 1977 et 1982, à Inverness, village fondé par des loyalistes écossais et irlandais. Deux hypothèses pour l’étymologie, la française et l’an­glaise. « On sait pas de yoù qui viennent et on sait pas yoù qu’y vont». Ou young hook (jeunes au crochet), car ils semblaient vivre aux dépens de la société, rapporte Sylvie Lavoie dans le livret Inver­ness, niché sur les premières collines des Appalaches.

« J’en avais ma dose de la ville », raconte Loulou, qui quitte Montréal à 32 ans. Autre lieu de vie, autre vocation aussi. À Inverness, elle découvre la nature et l’écriture (monologues, chansons, théâtre, musi­que). À 40 ans, elle présente son premier show à l’auberge d’Inverness, alors tenue par des youks.

Le premier référendum

Nous sommes à l’époque du premier référendum sur la souveraineté du Québec (1980). «Les Anglais qui partaient nous vendaient à bon prix leurs maisons qu’on a retapées.» Les francophones deviennent alors majoritaires. Parmi eux, une cen­taine de youks, soit 10% de la population. Inverness – et quelques autres villages, à un degré moindre – devient leur terre promise.

«On voulait ouvrir des voies nouvelles, pas juste suivre la tradition. Le retour à la campagne, c’était le renouveau, avec un idéal de vie simple, d’amour et de paix. On cultivait notre jardin, le végétarisme commençait, on inventait des recettes.» Les youks visaient l’autosuffisance. «On s’organisait entre nous. C’était pas vraiment une commune, plutôt la loi des affinités qui jouait. Il y avait beaucoup d’en­fants, de créativité sociale, d’envie de s’entraider.»

Puis vint l’épreuve de la réalité. Certains youks avaient bien quelques animaux, mais la petite ferme de subsistance tenait surtout de l’idéal romantique. Il fallait souvent cumuler un emploi pour assurer son gagne-­pain. D’autres vivaient de l’aide sociale.

Le vent tourne

Et les Invernois ? « On les étourdissait, on les intriguait, certains nous voyaient comme des profiteurs.» Devant leurs réticences à appuyer nos projets, poursuit Loulou, nous avons fondé en 1981 l’Association des youks d’Inverness et des environs, l’AYOIE. «Les filles m’ont alors massivement élue “démocratiquement et à l’unanimité” Reine des youks. Parce que j’étais la plus vieille, à défaut d’être la plus belle!», ajoute­-t­-elle avec un grand sourire.

L’association parraine diverses activités (éduca­tion populaire, auto­-santé des femmes, massage shiatsu). Les youks s’engagent progressivement au conseil municipal et dans les organismes sociaux, contribuant au maintien de l’école primaire. Ils ini­tient des projets communautaires qui deviendront la bibliothèque municipale, une garderie, le parc­ école.

Mais on se méfie toujours d’eux. Le vent tourne en 1990, quand Loulou fait jouer à L’Invernois, la cabane à sucre, sa pièce de théâtre, une comédie en rimes. Huit comédiens amateurs d’Inverness la reprennent plusieurs fois. «Ça nous a rapprochés des villageois.» Les youks ont aussi contribué à la naissance de galeries d’art et de deux fonderies d’art. Artistes et artisans, notamment dans le bronze, aident à revitaliser le village.

Sœur Bouliane

«J’ai fait mon chemin, m’inventant une façon de vivre. Personne ne m’a dicté quoi faire. Les sermons, c’est pour l’Église!», lance Louise Girard. L’Église, justement. «Il y avait plus de jugement et de contrôle que d’amour. J’en ai beaucoup souffert!» L’Église comme institution donc, très peu pour elle, sauf que… Sauf qu’il y a sœur Bouliane. «Tout aurait été tellement différent si l’on avait eu plus de sœurs Bouliane avec nous!»

Sœur de la Charité de Québec, la religieuse a mar­qué la vie de Saint­-Ferdinand. Loulou ne l’a pas connue personnellement, mais elle a beaucoup entendu parler de cette femme hors norme, dévouée envers les orphelins de Duplessis, alors hébergés à l’hôpital Saint­Julien. Elle cultivait leur jardin, leur enseignait la nature et les plantes, conduisait son VTT, maniait la tronçonneuse pour aménager des sentiers.

Sœur Bouliane est décédée en 2018, à 84 ans. Un peu d’elle continue à vivre dans la région, avec le Sentier art et nature des Appalaches. Cette initiative citoyenne, lancée l’automne dernier, reprend en partie son héritage. Long de quelques kilomètres, le sentier intègrera la poésie et des œuvres d’artistes régionaux.

Que reste-­t-­il de l’idéal des youks? «Peut­-être une attitude d’esprit, une certaine ouverture aux choses nouvelles, notamment à l’art», répond Suzie Marcoux. Leurs valeurs épousent aussi l’intérêt actuel pour l’agriculture biologique, avec les paniers bio, les fermiers de famille, le recours aux produits locaux, comme Suzie en sert dans son propre resto.

«Je crois profondément en la singularité de chaque personne», m’a dit Loulou en guise d’au revoir. «Il faut la trouver pour soi­-même et la cultiver, loin des dogmes figés. La vie est mouve­ment!»

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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