« Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ? »*
Réflexion théologique par Normand Provencher, o.m.i.
DÉCEMBRE 2021
Lorsqu’on posa la question au grand savant Albert Einstein : « Croyez‐vous en Dieu ? », il répondit : « Dites‐moi ce que vous entendez par Dieu, et je vous dirai si j’y crois ! » Son interlocuteur resta muet. Et pour cause !
Dieu est un mot que tout le monde peut dire et qui est commun à toutes les religions. Pour les croyants, il devient un nom propre et reçoit diverses appellations : Yahvé; le Père, le Fils et l’Esprit Saint; Allah; le Grand Manitou. Et les questions sur Dieu ne manquent pas. Existe-t-il ? Où est-il ? Pourquoi laisse-t-il mourir les enfants ? Malgré tout ce qu’on écrit et dit sur lui, il demeure toujours une question. Le célèbre romancier Éric-Emmanuel Schmitt, qui, égaré la nuit en plein désert, a vécu une intense expérience de la présence aimante de l’Invisible, estime que « Dieu est présent en tout homme, au minimum sous la forme de la question ».
Dans nos sociétés postchrétiennes, les non-croyants sont de moins en moins des marginaux. Dieu n’a plus sa place dans les domaines du savoir et du pouvoir, dans ce qui semble sérieux et engageant. Il est relégué au privé. Le plus grave, c’est qu’on a recours parfois à son nom pour justifier des interdits et entreprendre des conflits meurtriers. Que d’oppressions et de guerres au nom de Dieu!
Dieu s’est donné un visage humain
« Personne n’a jamais vu Dieu; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé », écrit saint Jean (Jean 1,18). Dans l’histoire d’un petit peuple, Israël, et surtout en Jésus, le fils de Marie de Nazareth, le Dieu unique intervient et se fait connaître. Aux gens de Galilée, Jésus parle de Dieu comme on ne l’a jamais fait jusqu’alors. Il leur annonce la venue de son Règne avec une conviction étonnante. Il leur apprend qu’il est son Père qui trouve sa joie à être miséricordieux. Il parle avec autorité de Dieu qui rend heureux les pauvres dès maintenant, qui rassasie les affamés, qui console ceux qui pleurent. En plus de parler de Dieu, il l’exprime par son attention aux petits qu’il laisse venir à lui, par sa présence aux pécheurs avec qui il mange, par ses rencontres avec les malades qu’il guérit. Ce n’est pas sans raison qu’il déclare à Philippe : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14,9).
Les autorités religieuses et civiles ont décidé de faire mourir Jésus, parce que son message ébranlait tout leur système religieux. En Jésus qui meurt et qui pardonne à ses bourreaux, c’est Dieu qui n’est pas une puissance vengeresse, mais l’amour qui devient pardon. Au matin de Pâques, c’est Dieu qui inaugure en Jésus le monde nouveau où la vie atteint un accomplissement que personne ne peut imaginer. En plus de faire connaître son Père, Jésus révèle un « troisième » sujet en Dieu : l’Esprit Saint. Le Dieu de l’Évangile n’est donc pas solitude. Il est unique et plénitude de vie partagée entre trois personnes. Seul Dieu peut nous en apprendre autant sur lui-même.
Le mystère qui nous fait vivre
Lorsque nous affirmons que Dieu est un mystère, il ne s’agit pas seulement d’une vérité qui dépasse la raison et qu’il faut accepter dans une foi aveugle. Au contraire, la Révélation nous met en présence d’une réalité tellement riche et lumineuse qu’elle nous dépassera toujours. Mais Dieu crée le cœur de tous les humains capables d’accueillir l’infini et l’indicible.
Saint Augustin, le grand théologien de la Trinité, écrit : « Nous parlons de Dieu; quoi d’étonnant si tu ne comprends pas? Si tu comprends, ce n’est pas Dieu » (Sermons 117,5). Dans le même sens, Graham Greene, un écrivain contemporain converti à la foi chrétienne, affirme qu’il refuserait de croire en un Dieu qu’il pourrait comprendre, car ce Dieu serait alors à notre mesure. Même si sa réalité est toujours au-delà de nous, il se fait tout proche de nous. « Si tu vas au bout du monde, tu trouveras la trace de Dieu. Si tu vas au bout de toi-même, tu trouveras Dieu lui-même », écrit la laïque engagée Madeleine Delbrêl.
Le Dieu de la gratuité
Dans nos sociétés sécularisées, on apprend à se passer de Dieu et à bien vivre humainement sans lui, comme s’il n’existait pas. On n’a pas besoin de lui pour aller sur la Lune ou sur Mars. Pour affronter ses souffrances et sa culpabilité, on a recours à la psychologie et à des thérapies. Et ainsi, on conclut que Dieu n’est plus nécessaire. Or, le moment est venu de redécouvrir le Dieu qui ne vient pas agir à notre place, qui n’est pas un moyen de survie parmi d’autres, mais le Dieu de la démesure qui n’est qu’amour de bienveillance et qui nous aime jusqu’à se donner lui-même, dans le respect de notre autonomie et de notre liberté. Ce Dieu, qui est amour gratuit, comme l’écrit saint Jean (1 Jean 4,8), et que nous cherchons de façon maladroite et à tâtons, ne s’impose pas et va jusqu’à mendier notre hospitalité : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je prendrai le repas avec lui et lui avec moi » (Apocalypse 3,20). Le projet de Dieu est d’établir sa demeure dans le cœur de tous les humains et de le combler de sa présence.
Quand nous recevons le calendrier de la nouvelle année, nous nous empressons d’y inscrire les anniversaires et les événements à ne pas oublier. Pourquoi ne pas prévoir des moments de recherche et d’accueil de Dieu ? Laissons des espaces pour l’inattendu! Nous nous préoccupons de l’avenir de notre planète, de nos sociétés et de nos communautés chrétiennes. Mais pourquoi ne pas être soucieux et heureux de collaborer à l’avenir de Dieu dans notre monde ?
_________
* Titre d’une hymne de Jean Servel, o.m.i. dans la Liturgie des Heures pour le samedi matin.