Robert Roussel, le militant résilient
ENTREVUE par Yves Casgrain
maI 2024
En janvier 2023, il y avait au Québec 83 866 personnes vivant avec une contrainte sévère à l’emploi. Parmi celles‐ci, nous trouvons Robert Roussel, 54 ans. Originaire de Trois‐Rivières, il vit maintenant à Montréal où il milite auprès de diverses organisations vouées à la défense des droits de ceux et celles en situation de pauvreté.

Le matin de l’entrevue, alors que nous étions déjà en route vers un restaurant montréalais, Robert Roussel nous téléphone pour nous informer qu’il avait oublié ses clefs dans son appartement. Cet incident peut nous paraître banal. Pas pour Robert Roussel. Il faut savoir que ce dernier souffre d’un trouble anxieux.
« À ma naissance, j’ai manqué d’oxygène. J’ai toujours eu des difficultés à apprendre au même rythme que les autres. J’ai essayé de terminer mon secondaire V en m’inscrivant aux cours offerts pour les adultes. Je n’ai jamais été capable de le terminer », m’explique-t-il quelques heures plus tard.
Durant son enfance, sa famille n’a pas vécu dans la pauvreté. Cependant, ses parents se sont séparés des années plus tard.
« C’est durant cette période que j’ai vécu une expérience de quelques semaines auprès de l’Arche. J’étais stagiaire. »
Charmé par ce stage, il décide d’entreprendre des études afin de devenir préposé aux bénéficiaires et part à Québec pour tenter l’expérience. « Cependant, ce cours était contingenté à Québec, mais pas à Montréal. Donc en 2006, j’y emménage. Je me suis inscrit au programme. Sauf qu’au niveau des techniques, comme le lever ou le coucher des patients, j’éprouvais des difficultés. Nerveux, j’omettais certaines choses importantes. Par exemple, j’oubliais parfois de lever la barre protectrice du lit du patient. Les instructeurs m’ont demandé d’être plus attentif et de travailler un peu plus rapidement. Sauf que lorsque je travaille plus vite, mon anxiété augmente. »
C’EST LA CATASTROPHE !
Malgré toute sa bonne volonté, il échoue son cours deux ans plus tard. En dépit de cet échec, Robert Roussel est devenu préposé à domicile durant deux ans à Québec.
Puis c’est la catastrophe! La dépression débarque dans sa vie sans prévenir. « J’avais encore dans ma tête la séparation de mes parents. À un moment donné, je me suis dit : “Je ne suis plus capable!” » Il consulte un médecin qui lui annonce que malgré son état, il était en mesure de travailler.
Quelque temps avant sa dépression, Robert Roussel fait la rencontre de l’Association de défense des droits sociaux Québec Métropolitain. Avec l’aide des permanents, il conteste avec succès ce verdict.
De plus en plus impliqué dans cette association, il participe au Forum social des peuples qui a eu lieu à Montréal en 2016. Lors de ce grand rassemblement, 35 000 personnes engagées dans des causes sociales de 125 pays partagent leurs savoirs.
Cinq ans plus tard, soit en 2021, Robert Roussel est contacté par un membre du Collectif pour un Québec sans pauvreté qui l’invite à prendre une part active dans une exposition montée par la Chaire de recherche du Canada en éducation aux médias et droits humains. Ses buts? Sensibiliser la population aux facteurs conduisant des personnes à demander l’assistance sociale et montrer leurs parcours. Un volet de cette exposition comporte même une série de photographies de bénéficiaires de ce qu’on appelle aujourd’hui l’aide de dernier recours.
«Le lancement a eu lieu à l’Écomusée du fier monde à Montréal. Donc, dans cette exposition, on me voit le portrait», dit-il dans un éclat de rire. Robert Roussel jouait également le rôle de guide auprès des visiteurs. Intitulée « Nous : portraits de l’assistance sociale », cette exposition itinérante est présentée encore aujourd’hui dans plusieurs régions du Québec.
LIVRES VIVANTS
Fort de cette expérience, Robert Roussel accepte également de participer en 2021 à l’activité «Livres vivants: entre intervention sociale, développement personnel et citoyenneté» de la Chaire de recherche de l’UQAM sur la réduction des inégalités sociales de santé. «Les livres vivants, ce sont des personnes qui reçoivent de l’aide de dernier recours et qui font part de leurs expériences personnelles à des étudiants en techniques sociales ou encore devant des organismes communautaires», explique-t-il.
Toutes ces implications ont fortifié sa confiance personnelle. À présent, il offre des conférences aux écoles et aux regroupements sociaux.
« J’explique comment je fais pour vivre avec un budget de 1590$ par mois. Je parle des moyens que les bénéficiaires prennent pour arriver. J’explique qu’ils font souvent appel à des banques alimentaires, ou vont dans les friperies », dit-il.
Cependant, le but ultime de ses conférences est de briser les préjugés que la société colporte envers les personnes en situation de pauvreté. Il tente également de sensibiliser les médias à leur réalité.
«J’ai demandé à l’émission Tout le monde en parle d’aborder le sujet de la pauvreté. Ils m’ont répondu que ce sujet n’est pas d’actualité ! Si nous parlons de la Guignolée des médias, des paniers de Noël, des sans-abri, des personnes qui ont des problèmes avec le prix des logements, ça va ! Mais à part cela, vois-tu la pauvreté traitée dans les médias ? Est-ce que tu entends les personnes en situation de pauvreté expliquer leur vécu ? La pauvreté est là, partout! Moi et d’autres organismes, nous tentons de leur faire savoir que nous existons et que nous sommes des êtres humains. »
UN PROJET
Ces différents engagements font en sorte que Robert Roussel ne peut rester insensible au sort de ceux qui sont plus hypothéqués que lui. « Lorsque je croise des sans-abri, cela me rend triste. Nous méritons tous un toit pour dormir. Je leur tends la main. Je ne leur donne pas toujours de l’argent, mais je leur donne des adresses où ils pourront se loger. »
À la fin de l’entrevue, Robert Roussel me parle d’un projet qui lui tient à cœur. « J’aimerais réaliser, avec l’aide d’un organisme communautaire, une série de balados sur la pauvreté. »
Par ces implications, Robert Roussel, ce militant résilient, tord lui-même le cou aux multiples préjugés qu’il combat avec courage.