S’enraciner
À CONTRE-TEMPS par Vincent Painchaud
OCTOBRE 2023
J’ai vécu un déménagement au tournant de mon adolescence, expérience redoutée par bien des jeunes mais qui fut dans mon cas particulièrement brutale. Déraciné de mon Chibougamau natal à la fin d’un mois décembre, j’ai été rempoté aux antipodes, plus précisément en Nouvelle-Calédonie, dans l’océan Pacifique. Outre l’écart de chaleur qui était de plus de 70 °C, il s’agissait pour moi d’une complète perte de repères à un âge où devait se construire mon identité. Je ne m’y suis jamais vraiment senti chez moi, ni vraiment moi-même.
« Citoyens du monde »
Pourtant, d’autres auront été dans la même situation sans éprouver les mêmes angoisses. Quelques-uns de mes camarades sont restés de véritables globe-trotters, se laissant porter par les opportunités d’emploi tantôt à Londres, tantôt à Dubaï, tantôt au Japon… Ils savent se retrouver dans ce dépaysement permanent, me font part de la nécessité de se nourrir d’une diversité de cultures toujours renouvelée afin de pouvoir apprécier l’humanité sous toutes ses facettes. Car oui, ils se disent citoyens du monde et humains de nationalité avant d’être québécois, canadiens ou catholiques.
Nul besoin de s’expatrier pour partager cette manière d’être ou de penser. Un discours porté vers le multiculturalisme imprègne nos villes et même nos régions. On s’exalte avec raison devant la culture de l’autre, on célèbre la richesse de ses coutumes et l’on réserve un profond respect pour ses croyances, mais on ressent un certain inconfort à revendiquer les nôtres. Si certains prétendent s’être distanciés de leur identité nationale et religieuse au nom du progrès social, d’autres adoptent de manière inconsciente cette posture transcendante par laquelle on en vient à croire que la tradition, c’est bien beau, mais qu’on est au-dessus de tout ça.
Puiser aux sources
Depuis que je suis de retour au Québec, j’ai cherché à m’enraciner. J’ai eu la chance de m’établir durablement en Mauricie et de m’impliquer dans ma communauté. J’ai également tâché de puiser aux sources : à l’instar de quelqu’un qui part faire un voyage spirituel en Inde pour « se trouver », j’ai entamé ce voyage à l’intérieur de ma propre culture, qui m’était tout aussi étrangère. Il s’agissait non seulement de connaître l’histoire et les traditions du Québec, mais de comprendre que je m’inscris dans la continuité de celles-ci et que je les incarne dans mon vécu.
Cela n’équivaut pas à une forme de repli sur un imaginaire cloîtré par la nostalgie, ni à l’adoption d’une mentalité « paroissiale » se méfiant de tout ce qui lui est étranger. Une identité affirmée et bien comprise devient une sorte de passeport grâce auquel je peux visiter sereinement celle des autres, sans crainte de m’y perdre et de ne pas pouvoir revenir chez moi. On ne peut pleinement apprécier les différences de l’autre qu’en connaissant celui dont il est différent, c’est-à-dire soi-même.