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laurette grégoire

Tisser le dialogue,
une perle à la fois

ENTREVUE par Christine Desbiens, 
responsable des
communications, diocèse de Baie-Comeau

          SEPTEMBRE 2024

Être accueilli chez Laurette Grégoire à Uashat, sur la Côte‐Nord, c’est être baigné dans la lumière du fleuve Saint‐Laurent tout près, mais aussi dans la transparence de cœur de cette croyante. De sa petite voix douce, cette dame innue donne un témoignage fort de résilience, d’ouverture, de confiance en Dieu et en ceux et celles qui souhaitent entrer en dialogue.

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PHOTOS : ÉLISE POULIN

Commençons avec une question délicate. Comment pouvez‐vous être autochtone et catholique étant donné que l’Église a participé à l’effort gouvernemental pour assimiler votre peuple et que certains de ses membres ont abusé d’enfants ?

La foi catholique est au cœur de notre famille depuis des générations. Elle fait partie de l’histoire de mes arrière-grands-parents, de mes grands-parents et de mes parents. Quand ils partaient en forêt, même s’ils ne voyaient pas le prêtre pendant une année complète, ils continuaient à prier et à essayer le plus possible d’être en connexion avec le Dieu créateur.

Ma grand-mère était organiste à l’église et on nous amenait à la messe lorsque nous étions au village; c’était un cheminement tout à fait normal à l’époque. J’ai moi-même subi des agressions de la part d’un religieux lorsque j’ai fréquenté le pensionnat quelques années comme externe, mais je ne sais pas trop pourquoi, ça ne m’a pas enlevé la foi que j’avais en Dieu. Le traumatisme demeure tout de même et je crois que je porterai toujours cette blessure.

Dans mon parcours, j’ai eu la grâce de vivre une rencontre personnelle avec le Christ et cela a donné sens aux rites catholiques que je faisais enfant. Malgré les obstacles et les peurs, j’ai sauté dans le vide avec le Seigneur. Cette conversion fut un long accouchement qui m’a permis de me révéler à moi-même, de vivre une nouvelle naissance. J’ai la conviction profonde que Dieu dit à chacun de ses enfants: «Au jour de ta naissance, je t’ai aimé et aujourd’hui, malgré tout ce que tu peux faire de bien ou de mal, je t’aime.»

De quelle manière votre culture innue influence‐t‐elle votre façon de vivre votre foi chrétienne?

La foi est très grande dans ma famille et elle lui donne une couleur particulière. Ma grand-mère, ma mère, mes tantes se sont toujours tenues debout devant les difficultés. Et puis l’entraide est très présente au sein de ma famille et de ma communauté. Mes grands-parents vivaient au jour le jour et ils accueillaient ce qu’ils recevaient quotidiennement. Il n’était pas question d’accumuler des biens pour se donner un sentiment de sécurité. Cela les amenait à vivre beaucoup de soutien entre les membres de la famille élargie et avec les autres familles. Ils devaient donc avoir confiance les uns envers les autres.

Même si cela s’est un peu érodé ces dernières années, on sent que l’entraide est toujours solide entre Innus. Nous sommes sensibles à la souffrance des autres et nous savons faire preuve de compassion. Je sais qu’en vivant dans ma communauté, je n’ai aucune crainte. Si je perds tout, les autres seront là pour m’aider!

Depuis plusieurs années, vous commentez la Parole de Dieu dans votre communauté chrétienne de Uashat-Maniutenam et plus récemment à la paroisse allochtone Marie-Immaculée de Sept‐Îles. Vous écrivez aussi une chronique sur la Bible dans la revue Parabole; comment arrivez‐vous à expliquer la Parole de manière si imagée et personnelle?

Lorsque j’étais enfant, le père oblat à l’église utilisait beaucoup d’exemples pour expliquer la Parole et ça me parlait parce que notre langage autochtone est très imagé. En 6e année, j’étais fascinée par les grandes aventures bibliques qu’une religieuse nous racontait.

Depuis ma conversion, j’ai découvert que la Parole était vivante en nous. J’ai entendu beaucoup de légendes et de récits racontés par les aînés, j’imagine que cela influence ma manière de parler de la Parole de Dieu.

Durant un camp en forêt animé par des aînés, j’ai pensé devenir une « femme médecine ». J’étais très attirée par l’utilisation des plantes médicinales, mais à travers un rêve que mon père m’a aidée à interpréter, j’ai choisi de continuer à porter la parole de Dieu dans ma communauté.

Lorsque vous étiez enseignante dans une école primaire de Uashat, vous avez aidé de nombreuses enseignantes allochtones à comprendre la culture innue. Comment continuez‐vous à créer des ponts entre Autochtones et allochtones?

Je dois d’abord dire qu’être mariée à un non-Autochtone depuis plus de 50 ans m’a sûrement aidée à apprendre à vivre avec la différence de l’autre. Quand je pense qu’à l’adolescence, je disais que je n’épouserais jamais un Blanc !

Comme il n’y a pas encore suffisamment de jeunes Autochtones formés pour l’enseignement, nos écoles ont besoin de professeurs non-autochtones. Récemment, la direction d’une école d’une autre communauté m’a demandé, ainsi qu’à mon amie Brigitte André, enseignante à la retraite de Maniutenam, de rencontrer les professeurs autochtones et allochtones parce que le climat y était très tendu. Nous avons dit aux non-Autochtones qu’il y avait une place pour eux parmi nous, qu’ils devaient chercher à se faire des alliés auprès des Autochtones et ne pas hésiter à poser des questions pour tenter d’en apprendre plus sur leur culture et leur manière de vivre. On a aussi invité les Innus à être ouverts aux nouveaux arrivants en les aidant à s’intégrer pour le bien des enfants et de la communauté. La pression a baissé et j’espère que nous avons contribué à une meilleure collaboration entre ces professeurs aux cultures bien différentes.

Depuis l’automne dernier, je fais partie d’une équipe d’accompagnement d’un jeune missionnaire oblat de Marie Immaculée, Hermann Timtim, qui vit sa première année en milieu pastoral autochtone. Comme il arrive d’Afrique, cela représente tout un défi d’adaptation pour lui ! Avec les autres membres de l’équipe, mes tantes Marguerite Vollant et Florence Jourdain, nous avons promis au supérieur provincial des Oblats d’être des mères pour le père Hermann; il est bien entouré !

Laurette Grégoire présente le collier intergénérationnel qu’elle a conçu pour représenter sa famille. Elle utilise cette démarche créative en atelier pour faire découvrir l’importance des liens familiaux aux enfants innus et allochtones de sa région.

Laurette Grégoire présente le collier intergénérationnel qu’elle a conçu pour représenter sa famille. Elle utilise cette démarche créative en atelier pour faire découvrir l’importance des liens familiaux aux enfants innus et allochtones de sa région.

Quelle est votre approche de dialogue avec les jeunes?

Lors d’un cours universitaire, le professeur nous avait demandé de décrire notre généalogie sous une autre forme que l’habituel arbre généalogique. J’ai alors pensé à un objet que j’avais remarqué chez mon père. Sur un mur du salon, il avait accroché un fil de boucher sur lequel il avait fait des nœuds. Il m’a expliqué que chaque nœud représentait un membre de sa famille et que lorsqu’un petit-enfant naissait, il faisait un nouveau nœud. Ça m’a donné l’idée de créer un collier intergénérationnel.

Les premiers nœuds représentent ceux et celles qui sont venus avant moi: mes arrière-arrière-grands-parents (il pourrait y en avoir des milliers), mes arrière-grands-parents, mes grands-parents, mon père, ma mère, puis moi et mon mari. J’ai ensuite choisi de mettre des perles pour représenter chacun de nos enfants biologiques et adoptifs, leurs conjoints ou conjointes et leurs enfants. Je n’ai pas encore eu le temps d’ajouter des perles pour nos arrière-petits-enfants. Sur le fil qui complète le collier, j’ai fait des nœuds pour les générations qui suivront.

Lorsqu’on m’invite dans des classes au primaire pour parler de dialogue, je fais des ateliers de fabrication de petits bracelets intergénérationnels. Un jour, une petite fille a fait un bracelet un peu trop long pour son poignet. Je lui ai dit qu’il fallait le couper, mais elle m’a répondu: « Ce nœud, c’est ma grand-maman. On ne peut pas l’enlever ! » On a donc fait deux tours pour ne pas « couper » sa grand-mère!

Dans le cadre de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, l’équipe d’une école allochtone, dont environ 20 % des élèves sont innus, m’a demandé d’aller rencontrer les jeunes et d’animer un atelier. À la fin de la journée, l’enseignante des grands de 6 e année à qui elle avait parlé des pensionnats pour Autochtones m’a demandé de visiter sa classe. Les enfants avaient écrit un message sur de petits chandails orange en papier. Plusieurs disaient : « Je vous aime, vous les Innus, et je suis désolé de ce qui vous est arrivé. » Je leur ai dit: « Oui, nous avons vécu beaucoup de racisme, mais je crois que vous êtes la génération qui peut changer les choses. Vous pouvez être désolés, mais ne portez pas cela tout le temps. À n’importe quel âge, un enfant peut construire un monde meilleur dans la manière dont il accueille l’autre et dont il lui parle ! »

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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