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DARLA SLOAN

« Tous et toutes une vraie merveille, tels que nous sommes ! »

ENTREVUE par Stéphane Gaudet

          JANVIER-FÉVRIER 2023

PHOTOS : STÉPHANE GAUDET

« Je n’avais pas de difficulté à dire aux autres “Je t’aime”. Mais de croire que moi, j’étais aimée de Dieu, et par conséquent aimable ? »

Il a été long, le chemin qui a mené Darla Sloan à comprendre qu’elle est parfaite telle qu’elle est. Née prématurément et atteinte de paralysie cérébrale, adoptée bébé par un couple de Canora en Saskatchewan, elle a vécu de nombreux moments de crise avant de devenir qui elle est aujourd’hui.

Enfant, elle a fréquenté l’église familiale. Elle ressentait l’Amour de Dieu. Quand elle a eu six ans, ses parents ont divorcé et sa mère est partie avec ses deux filles adoptives refaire sa vie en Colombie-Britannique. C’est là que Darla a commencé l’école.

« Dès les premiers jours, j’ai été l’objet d’intimidation. Ma mère, qui a été ma première théologienne, m’a toujours dit : “Dieu t’a faite différente. Certains sont bruns, certains ont les yeux bleus, toi, tu as un problème pour marcher. Tu n’as pas à rougir.” »

Une fois dans une église évangélique, l’animateur de l’école du dimanche a fait prier les enfants pour que Dieu guérisse « la pauvre petite fille handicapée que j’étais. Ça m’a logé dans l’esprit que ce n’était pas la volonté de Dieu que je sois comme ça. J’ai intériorisé que j’étais une marchandise défectueuse, que je n’étais pas acceptable devant Dieu telle que j’étais. Ma mère a dit : “Tu ne retournes pas là, tu n’as pas besoin de ça.” »

Darla était aussi une enfant très anxieuse. « Je faisais des crises d’angoisse à six ans. Me savoir défectueuse, et le fait que les enfants me passaient dessus avec leur vélo, me crachaient dessus, me traitaient de tous les noms… » Malgré ses excellents résultats scolaires, elle a grandi avec l’impression que tout ce qu’elle faisait était « poche ». « À l’adolescence, vers 15-16 ans, je voulais mourir. Ma mère monoparentale n’était pas aussi présente qu’elle aurait dû l’être. J’ai fait une tentative de suicide. Pas d’estime de soi, pas de diagnostic ni de suivi… Plus mon perfectionnisme: ce n’était jamais assez bon.»

Un échec

À 18 ans, elle quitte la maison pour étudier à l’université, où les professeurs la valorisent En sciences, elle sent qu’elle n’est pas à sa place. « Les crises d’angoisse ont recommencé. La première session a été très difficile, j’ai quitté après. » Parce qu’abandonner ses études est un échec, elle fait une autre tentative de suicide. « Je suppliais Dieu de venir me chercher », se remémore-t-elle.

Elle retourne à la maison mais se marie rapidement pour fuir le foyer familial. Elle n’a pas encore 21 ans. « C’était le premier qui m’avait dit “je t’aime”. J’avais peur qu’on se quitte, car si ça arrivait, pensais-je, personne d’autre ne va m’aimer, parce que je ne suis pas aimable, pas assez bonne. »

Là où elle s’était sentie bonne, c’était dans ses cours d’immersion française. Elle fait donc un baccalauréat et une maîtrise en langue et linguistique françaises. En 1991, elle dit à son mari de l’époque : « Il faut que j’aille vivre à Québec un an pour finir ma maîtrise. » Elle le fait et se sent si bien! De retour dans le Pacifique après cette année d’études, elle pleure pendant un an parce qu’elle veut revenir à Québec, voir des spectacles de Richard Séguin, aller dans les cafés…

Miracle : on offre à son mari unilingue anglophone un emploi à Québec. « Je n’étais plus du tout pratiquante à cet âge-là, mais je savais que c’était Dieu. » Le couple déménage et Darla s’inscrit au doctorat à Laval. « Je ne voulais pourtant pas devenir prof de français ni de linguistique. Je faisais un doctorat pour être à Québec, je n’étais pas à Québec pour faire un doctorat .» Elle est malheureuse parce que ce n’est toujours pas sa voie.

Son mari et elle n’ont pas du tout les mêmes valeurs. « J’avais compris que lui n’allait pas changer, qu’il fallait que moi, je m’ajuste à lui. » Il se fait offrir un emploi à Ottawa. Darla lui dit : « Tu pars, je reste. On se sépare. » Ils le font d’un commun accord, le mari sachant que son épouse était malheureuse. « J’étais super suicidaire, j’avais l’impression que ma vie était scrap. J’avais échoué mon couple, j’étais en linguistique mais ne voulais pas vraiment être là… »

« Tu es le bien-aimé »

Résidant dans le Vieux-Québec, elle sait qu’il y a là une église unie, l’Église de son enfance. À l’été 1995, elle pousse la porte de l’église unie Chalmers-Wesley. Le pasteur répond à ses questions, il a du temps pour elle.

Une fois, celui-ci sort un livre du théologien catholique Henri Nouwen. Le passage qu’il a lu disait:

« “Tu es le bien-aimé”. Tout ce que j’espère, c’est que tu entendes ces mots prononcés avec toute la tendresse et toute la force que l’amour peut contenir. Mon seul désir est de les faire retentir dans tous les recoins de ton être… “Tu es le bien-aimé.” »

Darla se rappelle : « Ces paroles-là, c’était Dieu qui me parlait ! Et là, les vannes se sont ouvertes. J’ai braillé à chaudes larmes. J’ai reconnecté avec “Je t’aime telle que tu es, tu es parfaite telle que tu es!” »

Elle devient membre de la paroisse. Un jour au culte, elle entend un séminariste stagiaire dire qu’il était candidat au ministère ordonné. Une voix en Darla lui souffle : « Hé, je pourrais faire ça moi aussi ! » Elle est alors doctorante, a presque fini sa scolarité. Il aurait été fou de tout lâcher pour devenir pasteure.

Elle qui ne parlait à son père que deux-trois fois par an au téléphone, voilà qu’elle reçoit un jour un appel de celui-ci. « Il me demande : “Quoi de neuf?” Je lui réponds des banalités. Il me répète à quelques reprises “Quoi de neuf?” Je lui dis : “Papa, je t’ai tout raconté.” Là, il me dit : C’est parce que j’ai fait un rêve. J’ai rêvé que tu avais fini tes études en linguistique et que tu étais devenue pasteure de l’Église Unie.” Je ne lui avais pourtant rien dit ! »

La pasteure Darla Sloan en compagnie du père Bernard Ménard, o.m.i. dans la Chapelle de la Paix du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

Enfin dans sa voie

Elle abandonne le doctorat pour aller étudier la théologie au Séminaire Uni à Montréal, à 30 ans. « Pour la première fois de ma vie, j’ai senti que j’étais dans ma voie, pas à côté de ma voie. » Darla Sloan est ordonnée pasteure en 2001 et sert l’Église Unie Saint-Pierre et Pinguet depuis 10 ans. Tout ça, dit-elle, parce qu’elle avait changé sa façon de comprendre la perfection.

« Quand tu entends la première fois “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait”, c’est angoissant, parce que tu te dis que c’est inatteignable. Mais comprendre que le mot “perfection” dans cette phrase, c’est teleios, c’est le but, la finalité, ce pour quoi tu as été créée. Je n’étais pas parfaite pour être patineuse, ballerine ou linguiste. »

Le psaume 139 (138) lui parle beaucoup : « Tu m’as tissé dans le ventre de ma mère, je suis une vraie merveille. » La pasteure Sloan affirme : « Nous sommes tous et toutes une vraie merveille, tels que nous sommes ! Il s’agit de savoir ce qui nous fait vibrer, ce qui résonne en soi. »

Elle poursuit : « Dieu m’a sauvée, mais est-ce que Dieu aurait pu me guérir de ma paralysie cérébrale ? Peut-être… Mais ce n’est tellement pas important ! Ça m’a donné une compréhension de ce qu’est une vie féconde. Jésus n’est pas venu pour qu’on ait la santé à tout jamais ! Même Lazare, qui a été réanimé, est mort plus tard. Dans mon cas, avoir la paralysie cérébrale, ce n’est pas la pire chose qui peut m’arriver. Je connais plein de gens en chaise roulante, ou aveugles, ou sourds, et qui ont des vies fécondes. »

Pas magique

La pasteure précise cependant que « la foi, ce n’est pas magique ». C’est une relation qu’il faut travailler, comme n’importe quelle relation. Et si quelque chose de vraiment grave lui arrivait, elle n’hésiterait pas à aller chercher de l’aide professionnelle, y compris des médicaments. « Dieu travaille aussi à travers la science, il ne faut pas bouder la science parce qu’on a la foi », tient-elle à souligner.

« Ce n’est pas que je n’ai plus aucune angoisse. Mais je sais que je suis aimée de Dieu. Alors, quoi qu’il m’arrive, si quelque chose échoue, rien ne peut abolir cet amour de Dieu pour moi. Je crois à la Résurrection, la grande, mais aussi les petites : quand il y a des culs-de-sac, ce n’est pas la fin. Dieu a toujours un plan B, un plan C, un plan D… Mon espérance, c’est qu’après l’épreuve, après une mort, la fin de quelque chose, il y aura une vie nouvelle. »

Fondée en 1892 par le bienheureux Frédéric Janssoone, o.f.m.

Magazine d’information religieuse et de vie spirituelle, publié 10 fois l’an, en association avec la mission du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap.

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