annie gilbert
Une histoire de gratitude
ENTREVUE par Stéphane Gaudet
mars 2024
Atteinte d’hydrocéphalie dans son enfance, Annie Gilbert aurait pu ne jamais atteindre l’âge adulte. Maintenant quinquagénaire et infirmière retraitée, poussée par la gratitude, elle a retracé toutes les personnes qui l’avaient soignée à l’époque. Son livre, qui se lit comme un roman d’aventures, raconte son histoire et sa démarche.
La plupart des gens souhaitent oublier les moments de maladie. Or, vous vous y replongez avec plaisir, et force détails !
C’est parce que c’est une belle histoire, elle se termine bien! Les détails, c’est parce que j’avais envie d’expliquer ce qu’est l’hydrocéphalie, maladie peu connue. Et parce que dans ma relecture des événements, je me rends compte à quel point il y a eu énormément de don de soi de la part des gens bienveillants qui ont été autour de moi. Non seulement l’hydrocéphalie aurait pu me tuer, mais aussi la méningite à la naissance, qui demeure une maladie grave encore de nos jours. La maladie fait partie de mon histoire et a fait ce que je suis aujourd’hui, dans une certaine mesure.
Et pourquoi vouloir raconter cette histoire à d’autres ?
J’avais envie de dire merci à toutes ces personnes. Aujourd’hui, on met souvent l’accent sur les vécus douloureux. Moi, j’avais plutôt envie d’écrire une belle histoire.
Votre livre s’intitule Gratitude. Qu’est‐ce que la gratitude pour vous ?
C’est la reconnaissance, de dire merci à une personne qui nous a rendu un immense service, mais dans mon cas, il s’est agi de plusieurs personnes. Aussi, la gratitude, au lieu de tourner vers soi, nous ouvre à quelque chose de plus beau et qui nous attire vers le haut. C’est le contraire du repli sur soi, dans un monde marqué par l’égocentrisme.
Que signifie la page de couverture du livre?
C’est une toile de l’abbé Gilles Roberge. Elle montre Annie quinquagénaire serrant dans ses bras Annie à sept ans. La grande Annie embrasse sa petite enfance. Avec un grand sourire, car elle est passée de la maladie à la santé. Et elle est avec son toutou, qui a une grande importance dans l’histoire, comme le verront ceux qui liront le livre.
Le livre n’en parle pas, mais vous êtes une chrétienne engagée. Y a‐t‐il un lien entre votre démarche et votre foi ?
Quelqu’un capable de lire en filigrane sera capable de découvrir qu’il y a un grand merci à Dieu aussi dans mon livre. Merci pour la vie, qui est vraiment un cadeau dans ma situation où j’aurais pu à plusieurs reprises mourir ou rester avec des séquelles importantes. Je crois que Dieu n’est pas qu’un être quelque part dans l’univers, c’est quelqu’un qui passe par les autres. Mon merci à Dieu dans mon livre, c’est d’être passé par toutes ces personnes : des professionnels de haut niveau, des gens bienveillants dans la vie tous les jours. C’est plus que le bon alignement des étoiles, pour moi, c’est la providence.
Je ne voulais pas, dans mon livre, annoncer ma foi. Je voulais que n’importe qui, croyant ou pas, soit attentif à mon histoire et y adhère à sa façon. Mais moi, dans mon cœur, il y a vraiment une certitude, celle que Dieu est passé dans sa providence.
Le mot gratitude veut dire action de grâce. Action de grâce, c’est comme l’eucharistie. Mon livre est un peu comme de rendre grâce, comme on le ferait dans une eucharistie, pour dire merci à Dieu. Plus que le Dieu-Immensité, le Dieu-Présence au quotidien par la présence des autres.
Comment la vivez‐vous, votre foi ?
Ma foi n’est pas un à-côté de moi, elle fait partie de moi. Ce n’est pas le dimanche à la messe, c’est chaque jour l’amitié avec une personne qui me connaît et m’aime inconditionnellement, à qui je peux tout dire, tout confier. Ma relation passe par la Parole, qui me parle énormément, et bien sûr par la prière, où je lui réponds. Ce n’est pas que dans le cœur que ça se passe, mais aussi par les gestes, l’engagement. Je pense entre autres à l’animation musicale et chantée (célébrations en église, milieu carcéral). Aussi, le dévouement, l’écoute des autres. Je crois qu’avec mon expérience d’avoir été accompagnée et entourée avec beaucoup d’empathie, c’est un petit retour d’ascenseur de vouloir faire un peu la même chose.
L’hydrocéphalie, est‐ce éradiqué ou ça existe encore en 2024 ?
Il existe trois grandes formes d’hydrocéphalie. L’hydrocéphalie congénitale existe de moins en moins, car la cause était le manque d’acide folique. Avec un bon suivi de grossesse, c’est rare. Une autre forme d’hydrocéphalie est causée par des affections chez l’enfant. Il y a aussi l’hydrocéphalie chez les adultes âgés (autour de 60-70 ans), causée par une diminution de la capacité de réabsorption du liquide céphalorachidien. Ces deux dernières formes existent encore de nos jours et font partie des maladies que les neurochirurgiens traitent régulièrement.
Votre histoire a‐t‐elle un message à dire aux personnes malades ?
Chaque personne vit sa maladie à sa façon. Même si on a été malade, je doute qu’on puisse conseiller des choses aux autres malades. L’expérience de la maladie est tellement individuelle ! Alors je ne veux pas me lancer dans le «Vous êtes capables ! Vous allez passer au travers !» Je ne suis pas là du tout. C’est plus une invitation à ne jamais baisser les bras et à aller chercher toute l’aide possible et nécessaire. Par aide, j’entends non seulement les soins de santé physique, mais aussi autour de soi pour nous aider à vivre ce l’on est en train de vivre.
Je pense sincèrement qu’en plus d’être accompagné par des gens qui sont autour de soi, il y a aussi cette foi par laquelle Dieu est aussi présent. Le Dieu présent, c’est parfois le Dieu souffrant. Dans la souffrance dans laquelle je suis, il y a un Dieu qui a vécu la souffrance et qui comprend ma souffrance. Un ami m’avait un jour invitée à faire une expérience : « Sur la croix où tu es présentement, invite le Christ à se déposer à côté de toi. » Je ne suis pas seule dans ma souffrance.