Violence conjugale — Les hommes, l’autre côté du spectre
REPORTAGE par Yves Casgrain
JUILLET-AOÛT 2021
La récente vague de féminicides a forcé le Gouvernement du Québec à allouer la somme de 19,8 millions $ aux organismes qui offrent des thérapies aux conjoints violents. Pour mieux comprendre ce qui se cache derrière cette violence masculine, la revue Notre-Dame‐du‐Cap est allée à la rencontre de deux thérapeutes qui accompagnent ces hommes et d’un témoin qui, de sa propre initiative, est allé chercher de l’aide.

Selon le cabinet de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, les 36 maisons d’hébergement membres de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes et les 50 centres d’accueil du Regroupement des maisons d’hébergement du Québec reçoivent plus de 5700 femmes par année. Bien que troublantes, ces statistiques ne représentent, de l’avis des experts, que la partie émergée de l’iceberg.
À l’autre bout du spectre, des centres d’aide pour les hommes auteurs de violence conjugale enregistrent également des statistiques qui illustrent de manière dramatique l’ampleur du phénomène. C’est le cas d’Au cœur de l’Il, organisme qui dessert la région de Lanaudière. Ses intervenants, au nombre de neuf, ont accompagné 300 hommes en 2020. Pour sa part, le centre ACROCC de la région des Laurentides a aidé 500 personnes (hommes ou adolescents et adolescentes).
Reconnaître qu’on a besoin d’aide
La très grande majorité des auteurs d’actes de violence conjugale qui suivent une thérapie le font sous la contrainte. « Oui, ils arrivent avec une clef de bras », lance le directeur de l’organisme ACROCC, Steeve Mimeault.
Le premier défi consiste donc à les persuader qu’ils ont besoin d’aide. « Cela n’est pas toujours simple, ni évident », remarque Daniel Blanchette, directeur et responsable clinique chez Au Cœur de l’Il. «Quand ces hommes-là acceptent de reconnaître qu’ils ont besoin d’aide et d’entrer en cheminement, il faut courir pour les suivre. »
Qu’ils soient sous contrainte ou non, les hommes auteurs d’actes de violence conjugale doivent tout d’abord téléphoner à un centre afin de prendre un rendez-vous. Ceci fait, ils rencontrent un thérapeute qui évalue leurs besoins.
Mine de rien, ces premiers pas demandent énormément de courage. « Lorsque les hommes arrivent à notre organisme, ils sont nerveux, anxieux. Nous devons leur transmettre de l’espoir. Ils arrivent ici terriblement découragés. Pour la plupart, ils sont à ramasser à la petite cuillère. Ils sont très fermement convaincus qu’ils ne pourront pas changer. Il faut arriver à semer une petite goutte d’espérance. Après cela, ils se mettent au travail », témoigne Daniel Blanchette.
« Tout le monde peut changer »
Chez Au cœur de l’Il, après quelques rencontres avec un intervenant, l’homme est alors intégré dans un groupe de 10 personnes qui se réunissent durant 21 rencontres à raison d’une réunion par semaine. Si besoin est, les hommes en cheminement peuvent poursuivre la thérapie après les 21 jours.
« Ce sont eux qui vont fixer les objectifs qu’ils veulent atteindre. Nous, nous allons les accompagner et les aider à atteindre leurs objectifs » explique le directeur de l’organisme.
Lorsque Daniel Blanchette parle de ces hommes qui décident de suivre la thérapie, les mots qu’il choisit sont empreints de respect. « Notre organisme se nomme Au Cœur de l’Il. Nous prétendons qu’au cœur de chacun des hommes, il y a quelque chose de précieux, il y a quelque chose que nous devons aider à faire émerger. Nous prétendons aussi que ces hommes en ont, du cœur. »
Le directeur d’ACCROC partage aussi ce point de vue. « Je crois que fondamentalement, tout le monde peut changer. Si on n’y arrivait pas, j’irais travailler ailleurs. Par contre, le changement appartient à la personne. »

Daniel Blanchette, directeur d’Au Cœur de l’Il
Pas des monstres
Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que ces deux experts rejettent catégoriquement l’étiquette de monstre que certains veulent leur accoler. « La journée où l’on va penser que ce sont des monstres, nous ne pourrons plus les aider. Nous traitons des humains qui ont été très loin. Qui ont fait des choses très graves également. Il faut en être conscient. Cependant, il faut être capable de passer par-dessus les gestes posés afin que ceux-ci ne se reproduisent plus. Tout le monde a la possibilité de changer. Cela n’effacera jamais les gestes posés, car ils laissent des traces. Elles ne partiront pas comme cela », souligne Steeve Mimeault.
Les deux directeurs sont convaincus que la violence a des causes. Une de celles-ci est la manière dont les hommes sont perçus, et ce, dès leur plus jeune âge. Daniel Blanchette explique : « Dans notre société, on n’apprend pas à l’homme à gérer sa capacité d’introspection, à se remettre en question, à douter de lui, à être en contact avec ses émotions. Pour un homme, c’est honteux. Pour les filles, la socialisation est permise, souhaitée même. Ce n’est pas vrai que les hommes peuvent se valoriser uniquement par l’action. Ce n’est pas vrai qu’une femme peut se valoriser uniquement par l’introspection. Cela prend un équilibre des deux ».
Le directeur d’Au Cœur de l’Il cite également une statistique troublante : « C’est plus de 50% des hommes en général qui n’ont aucun confident. Cela fait en sorte qu’un homme sur deux est isolé socialement. Imaginez-vous porter sa vie seul et tout le temps ! » Pour lui, c’est clair, les hommes se cherchent. « Lorsqu’en tant qu’homme, nous sommes arrivés à exploiter au maximum la capacité d’agir, la capacité de compétitionner, la capacité de performer, il y a quoi après ? C’est nécessairement à l’intérieur que cela se passe. Mais lorsque je n’ai même pas appris qu’il existe, cet intérieur-là, lorsque je n’ai pas appris à trouver le sentier qui me mène là, je suis en difficulté. »
Pour sa part, Steeve Mimeault croit que l’école et la famille ont un rôle à jouer afin de changer cette réalité. « Je crois qu’à l’école ils sont bons pour leur enseigner les mathématiques, mais par contre, la gestion des conflits, la communication, l’apprentissage des émotions, tout cela a comme été occulté. C’est le cas aussi dans les familles. Nous sommes dans un monde où tout va de plus en plus rapidement. On ne discute presque plus lors des repas, alors qu’il est si important de prendre contact avec ce que nous vivons. »
Le témoignage de Marcel
Prendre contact avec son vécu intérieur, cela ne se fait pas seul et rapidement. C’est ce qu’a réalisé Marcel* lorsqu’il a été confronté à sa propre violence verbale et psychologique. « J’étais dans mon automobile quand j’ai eu une violente discussion téléphonique avec ma conjointe de l’époque. J’ai complètement sauté ma coche. Lorsque je suis retourné à la maison, elle m’a rapporté mes paroles. Je ne me souvenais d’aucune d’elles ! C’est à ce moment que j’ai décidé d’aller consulter. »
Il a alors rencontré un intervenant d’Au cœur de l’Il. Malgré sa démarche volontaire, Marcel ne croyait pas vraiment que le centre pouvait lui venir en aide. « Je croyais être tout seul au monde à vivre avec ce problème ! » Contrairement à ce qu’il pensait, dès les premières rencontres avec un intervenant, Marcel s’est ouvert comme jamais. « Il m’a appris à parler. Avant, et ce depuis l’âge de 12 ans, je ne parlais pas de mes émotions. Il m’a aussi aidé à accepter de recevoir des conseils. »
Après trois rencontres individuelles, Marcel est intégré à un groupe d’hommes. « Leurs expériences m’ont beaucoup aidé. Ils m’ont appris à écouter les autres. Les gars m’ont appris à m’aimer et à me dire que je ne suis pas juste un ceci ou un cela ! »
Marcel a finalement décidé de poursuivre sa thérapie au-delà des 21 semaines. « J’ai fait un an et demi de rencontres. Cela m’a fait beaucoup de bien. » Il ne croit pas que les hommes qui posent des gestes de violence soient des monstres. « Ils ont besoin d’aide. Par contre, cette aide, elle ne doit pas venir dans trois semaines », lance-t-il. « Ils en ont besoin immédiatement. Dans trois semaines, ils seront ailleurs. »
Voilà pourquoi il juge important de bien financer les centres d’aide pour les hommes. « J’en vois beaucoup dans mon entourage qui ont besoin d’aide. En finançant les centres, le gouvernement va éviter de payer des séjours en psychiatrie et en prison. »
Marcel sait bien qu’il n’est pas à l’abri d’une rechute. Cependant, il est conscient maintenant qu’il n’est pas seul sur sa route. Il sait qu’un seul coup de fil peut tout changer…
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* Nom fictif.