Jusqu’alors supérieur provincial des Franciscains du Canada, Pierre Charland a été ordonné et installé évêque de Baie-Comeau le 28 mai dernier à la cathédrale Saint-Jean-Eudes. Franco-ontarien d’origine, de North Bay, jamais il n’était venu sur la Côte-Nord avant sa nomination. Nous l’avions interviewé la veille de son ordination.
omment allez-vous à la veille de votre ordination épiscopale ?
Je vais bien ! C’est sûr qu’il y a un peu de fébrilité. Mais tout ce qui entoure cette nomination, je l’ai vécu dans une espèce de paix intérieure. Je le prends comme une mission ; c’est un diocèse missionnaire, avec la présence des Premières Nations, un très vaste territoire, la Basse-Côte-Nord qui est difficile d’accès… Moi, ça me convient comme franciscain.
Est-ce que le Nord ontarien et la Côte-Nord ont des choses en commun ?
Ici à Baie-Comeau, je me sens un peu comme à North Bay. En fin de semaine, je suis allé m’acheter quelques plantes pour ma cour. Quand je suis venu pour payer, l’homme à la caisse m’a dit : « Mgr Charland, vous avez trouvé tout ce que vous vouliez ? » Je me suis demandé comment il savait que je suis Mgr Charland… Ça m’est arrivé au Jean Coutu aussi. Ce sont des choses qui arrivaient à North Bay, on se connaissait. Quand j’allais au magasin, c’était « Salut Pierre ! » Maintenant, je réalise que je ne suis plus à Montréal.
Aussi, l’omniprésence de l’eau. Le territoire de la Côte-Nord est un territoire qui me plaît. À North Bay, nous n’avons pas le fleuve, mais deux très grands lacs.
Vous avez œuvré autrefois dans le domaine politique. Étiez-vous porté par les mêmes valeurs qu’aujourd’hui ou avez-vous vécu un chemin de Damas ?
J’ai vécu un chemin de Damas. Mais ça remonte à loin, cet engagement politique. Lors de mes études de premier cycle à l’Université d’Ottawa, j’avais été choisi pour être page au Parlement. En parallèle, il y avait un programme extrêmement riche d’initiation à la politique canadienne. C’est ce qui m’a fait entrer dans le monde politique. Par la suite, j’ai travaillé à la Chambre des Communes. Bien que je sois toujours demeuré très ancré dans ma foi, même comme étudiant universitaire, j’ai vécu à l’âge de 26 ans la révélation proprement franciscaine. J’étais responsable des communications pour une société de la Couronne. Quand j’ai annoncé au directeur général que j’entrais chez les Franciscains, il était estomaqué, mal à l’aise, il ne comprenait rien à mon choix de vie !
Pourquoi avoir choisi les Franciscains ?
Je dirais presque que ce n’est pas moi qui ai choisi la spiritualité franciscaine, mais que c’est elle qui m’a choisi. Quand j’ai découvert ce chemin spirituel ouvert par François d’Assise, avec tous ses accents particuliers – la fraternité, la miséricorde, surmonter les barrières infranchissables entre des groupes ou des individus –, c’était pour moi une évidence très forte que j’avais trouvé ma maison. Même à l’époque, j’étais très conscient qu’il s’agissait d’une expérience de l’Esprit, bouleversante. Jamais je n’ai regretté ce choix.
La présence des Premiers Peuples est importante dans ce diocèse. Comment voyez-vous notre relation de chrétiens avec eux ?
Une fraternité à redécouvrir. Notre histoire a été modulée par des moments heureux et des moments moins heureux, comme Église. Quand j’étais jeune frère à Montréal, j’ai sciemment choisi d’aller passer certaines de mes vacances auprès de communautés autochtones. J’ai aussi fréquenté le Centre d’amitié autochtone de Montréal, j’allais à des cercles de guérison. J’ai eu l’occasion de vivre des moments forts. Ça a marqué mon parcours franciscain.
Après ma nomination, nous avons fait déjà trois rencontres publiques avec les Innus : une à Baie-Comeau, une à Sept-Îles et une à Havre-Saint-Pierre. J’ai l’intention d’être à l’écoute et que règne un bel esprit d’accueil et de réconciliation, qu’on fasse fraternité, qu’on avance ensemble.
La question qui obsède beaucoup de gens : comment « ramener » à l’église les gens qui n’y sont plus. Que pensez-vous de cette question ?
Je la comprends, cette question, on la porte tous. Ma philosophie a toujours été qu’il ne s’agit pas d’un problème qu’on peut intellectualiser. Je me dis que ce qui fera en sorte qu’on va souhaiter être en Église, se joindre à une communauté, ou y rester, ou y revenir, s’y engager, c’est un groupe qui authentiquement prie ensemble, célèbre ensemble, entretient de belles relations, empreintes de sincérité, de vérité, de profondeur spirituelle.
Oui, comme évêques, une des missions qui nous est confiée, c’est celle d’un certain leadership spirituel, alors si je peux encourager des initiatives où l’on creuse l’expérience spirituelle, où l’on fait Église… Les communautés n’ont pas besoin d’être numériquement grandes. Les petites communautés d’Église signifiantes, où il y a de beaux liens, où on avance ensemble, où on partage la Parole, moi, je trouve ça beau.
Croyez-vous que la synodalité, dont on parle beaucoup, soit une mode, un slogan ?
La démarche synodale, nous avons beaucoup travaillé ça chez les Franciscains depuis deux ou trois ans, avec un renouveau dans notre relation, notamment avec les plus jeunes chrétiens. On a vécu une synodalité particulièrement ouverte aux jeunes, qui a donné de beaux fruits. Pour moi, ce ne sera ni une mode, ni un slogan. Ici aussi au diocèse de Baie-Comeau, on a vécu la démarche synodale. J’ai lu le rapport avec beaucoup d’intérêt et je me réjouis ! Le risque, c’est que nous, responsables de communautés, nous vivions nos décisions toujours entre nous. Est-ce qu’on peut se mettre à écouter ceux qui n’ont pas la parole habituellement ?
Comment peut-on vivre concrètement la synodalité dans un diocèse comme celui de Baie-Comeau ?
Par exemple, quand je rendrai visite aux communautés innues, ma première présence en sera une d’écoute. Et pas seulement des élus, des chefs de communautés. Peut-être qu’on constituera des cellules de partage ? La conversation dans l’Esprit, méthodologie qui était proposée pour le Synode, elle est intéressante. Sans nécessairement entrer dans la pleine mécanique, j’ai envie de m’en inspirer, pour porter des questions ensemble. C’est quelque chose qu’on peut intégrer à nos façons de faire.
Je pense que dans notre gouvernement d’Église, il faut faire très attention à ne pas tout décider du haut vers le bas. On a tendance à regarder le prêtre, l’évêque, le pape ; mais l’Église, c’est l’ensemble des fidèles ! Alors oui, leur donner la parole. Et l’Église de Baie-Comeau, ce n’est pas celle de Sault-Sainte-Marie ou de Montréal. C’est l’Église de la Côte-Nord. J’ai besoin d’entendre cette Église-là, à quoi elle vibre, de quoi elle a faim, de quoi elle est blessée, de quoi elle est riche. C’est uniquement par l’écoute que je pourrai le découvrir.
Mgr Pierre Charland lors de son ordination épiscopale le 28 mai 2025. PHOTO : NÉHÉMIE PRYBINSKI, O.F.M.
Vous étiez le supérieur provincial des Franciscains depuis huit ans. Est-ce que les responsabilités d’un évêque diocésain ressemblent à celles du supérieur d’un ordre religieux ?
Sur le plan administratif, il y a des similitudes. Quand on est en leadership en Église, on est celui qui va animer la prise de décision. Mais d’un autre côté, comme provincial, mes interlocuteurs étaient surtout les frères du Canada, alors qu’ici, je crois que j’aurai un contact sur le terrain plus important. Je m’ennuyais de ça ! J’ai été heureux comme provincial, mais mes plus belles années, c’est quand j’ai été curé dans le quartier Parc-Extension à Montréal.
Nouveau pape, nouvel évêque : qu’attendez-vous du pontificat de Léon XIV ?
D’abord, je me réjouis de voir que c’est un pontificat qui n’est pas une rupture avec celui de François, même si Léon XIV aura ses propres couleurs. Je suis extrêmement heureux que ce soit un pape avec une bonne expérience missionnaire. L’expérience du terrain, il l’a. Il est arrivé dans une terre nouvelle et a pris le temps de s’en imprégner, de la comprendre, de l’aimer, de l’accompagner.
Le mot « missionnaire » revient souvent dans vos réponses.
Parler d’une Église missionnaire, c’est parler d’une Église vivante. C’est aussi parler d’une Église à l’écoute, qui est en découverte, en croissance, qui vibre d’une vie réelle. Si l’Église n’est pas missionnaire, qu’est-ce qu’elle est ? Moi, l’Église-musée…
J’ai très bien accueilli cette nomination sur la Côte-Nord, où je n’avais jamais mis les pieds. L’Église est extraordinaire par cet aspect universel. Le gars de North Bay, s’il y a une chose qu’il n’avait jamais imaginée dans sa vie, c’est bien qu’il viendrait vivre à Baie-Comeau comme évêque de la Côte-Nord ! Pour moi, c’est un beau visage d’Église. Que notre identité, parce que nous sommes disciples et au service du Seigneur, soit plus vaste que nos racines familiales, ethnoculturelles ou nationales.
Notre Infolettre
Soyez à l'affût des nouveautés.
En vous inscrivant, vous consentez à notre politique de confidentialité.

À l’écoute de ceux qui n’ont pas la parole
Jusque-là supérieur provincial des Franciscains du Canada, Pierre Charland a été ordonné évêque de Baie-Comeau en mai dernier. Dans un esprit synodal, il souhaite donner la parole à ceux qui ne l’ont pas d’habitude en Église et être à leur écoute.

Délivrer les captifs d’aujourd’hui
Fondé il y a plus de 800 ans, l’Ordre des Trinitaires, présent chez nous notamment à Granby, poursuit dans la société moderne sa mission de libération des captifs.

Protectrice du peuple romain
Avant et après chacun de ses voyages, le pape François allait prier à la basilique Sainte-Marie-Majeure devant l’icône de Marie « protectrice du peuple romain ». D’où vient ce vocable de Marie, quelle est son histoire ?