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c h a r g e m e n t

Délivrer les captifs d’aujourd’hui

Les Trinitaires
Stéphane Gaudet, rédacteur en chef

Par Stéphane Gaudet , rédacteur en chef

  Église
statut de Saint-Jean-de-Matha

Photo: STÉPHANE GAUDET

L’Ordre des Trinitaires, de son vrai nom « Ordre de la Très Sainte Trinité et de la Rédemption des Captifs », a été fondé en 1198 pour affranchir les chrétiens captifs des Maures. Aujourd’hui, il se consacre à libérer les personnes prisonnières des formes nouvelles d’esclavage.

J'

étais venu à quelques reprises au Centre Jean-Paul-Régimbal de Granby au début des années 2000 pour ma retraite de paroisse annuelle. Je savais qu’il avait changé de nom et était devenu la Maison Trinitaires. Pour me retirer à l’écart et voir ce que c’est devenu, j’y ai passé quelques jours en mars.

Une prière de libération

Dès mon arrivée, il me semble que les lieux ont été agrandis : l’aile moderne où se trouvent la réception et la boutique n’existait pas il y a 20 ans. Je me souviens d’avoir acheté à l’ancienne boutique des livres qui avaient changé ma vie, sur l’estime de soi, les dépendances. Le jardin est encore propice au recueillement, avec ses hautes haies de thuyas qui nous isolent des rues et sa pinède dans laquelle il fait bon marcher.

En me promenant, je remarque des noms qui me sont familiers : saint Jean de Matha, saint Félix de Valois, saint Michel des Saints. Des noms de villages de Lanaudière, moi dont la famille paternelle est lanaudoise. J’apprends que Jean de Matha est le fondateur de l’Ordre des Trinitaires, que Félix de Valois en est le cofondateur et que Michel des Saints est un trinitaire catalan du 16e siècle, un mystique.

Dans la chapelle se dresse une statue de Jésus aux mains liées, appelé « Jésus Nazaréen ». Des gens ont glissé des papiers entre ses mains, remettant littéralement leurs souffrances dans les mains du Seigneur. Devant la statue, un carton propose une prière de libération :

Ô Jésus, en te contemplant,
 je vois tes deux mains
 attachées avec une corde.
 Tu as accepté, doux Jésus,
 de te laisser lier les mains
 pour que je sois libre.
 Je te demande, Seigneur,
 de me libérer de mes blessures
 et de mes esclavages.
 Je te remercie, Jésus ! Je t’aime !
 Prends toute la place dans mon cœur.
 Ô Jésus Nazaréen, libère les captifs.
 Ô Jésus Nazaréen, libère-moi
 de tous mes esclavages. Amen.

Cette prière me parle. Je suis frappé par son ton très actuel. Qui, de nos jours, peut se dire esclave de rien ? Sans blessures ?

À Granby depuis 1957

Pendant sept siècles, les Trinitaires, sans armes, se sont dédiés au rachat des chrétiens prisonniers des Maures. Parfois, il s’agissait d’un échange plutôt que d’un rachat : des musulmans captifs des chrétiens échangés contre des chrétiens captifs des musulmans. Les Trinitaires ont ainsi pu libérer des milliers de prisonniers au fil des âges, dont en 1580 l’écrivain espagnol Cervantes, auteur de Don Quichotte, captif en Algérie. Le dernier rachat a eu lieu en Somalie en 1905.

La communauté de cinq trinitaires qui habitent la Maison – ils sont 15 en tout et pour tout au Québec – m’accueille chaleureusement pour le souper le premier soir. Ils répondent à mes nombreuses questions sur leur ordre, leur charisme, la Maison. Les Trinitaires sont présents au Canada depuis 1924 et sont arrivés à Granby en 1957. Le père André Daigneault m’apprend que lorsqu’il n’y eut plus vraiment de chrétiens captifs des musulmans, les Trinitaires se sont tournés vers d’autres formes de captivité, comme les chrétiens exclus ou opprimés à cause de leur foi, les prisonniers, les malades, les pauvres, les marginalisés, ceux qui ne connaissent pas le Dieu-Trinité qui est amour et liberté… En 1974, Paul VI avait confié aux Trinitaires « la libération des personnes et groupes sociaux privés de liberté ».

« Nous sommes tous des captifs »

Même s’il est occupé toute la semaine par l’animation d’une retraite, le supérieur de la communauté, le père Michel Vigneau, me consacre quelques minutes pour une entrevue. Il raconte que c’est le fondateur Jean de Matha qui a associé le Dieu-Trinité à la libération. La devise des Trinitaires est « Gloire à Toi Trinité ! Aux captifs la liberté ! » Il me révèle aussi la signification de la croix rouge et bleu, emblème des Trinitaires que tous portent sur leur habit ou au cou. Le trait bleu horizontal symbolise la captivité, la souffrance de l’être, et passant par-dessus, le trait rouge vertical, représentant l’amour de la Trinité qui traverse le cœur humain pour l’amener à la libération.

Nous parlons des captifs des temps modernes. Il m’explique : « Nous sommes TOUS des captifs. Si le Seigneur nous demande d’être signes de sa présence libératrice au cœur du monde, c’est que d’abord, il veut nous la faire vivre à nous. Nous ne sommes pas des gens libérés allant libérer les autres ; nous sommes des hommes et des femmes qui avons aussi besoin de libération, parce que nous avons tous nos captivités, nos dépendances. Quand on parle de captivité, c’est tout ce qui nous enchaîne, qui bloque l’espérance. La libération vient dire à chaque être humain : “Tu es aimé de Dieu”. »

Ouvert à toute personne

Autrefois haut lieu du Renouveau charismatique, le Centre Jean-Paul-Régimbal s’est ouvert à de nouvelles clientèles en devenant la Maison Trinitaires. « On n’a rien éliminé, on a ajouté », souligne Alain Labonté, directeur général de la Maison, qui me reçoit après avoir passé un temps d’accompagnement avec un jeune père de famille. Ce sont maintenant des laïques comme lui qui gèrent la Maison, les Trinitaires continuant d’assurer les services pastoraux. Les activités de la Maison Trinitaires se regroupent en deux volets, « Spiritualité chrétienne » et « Croissance personnelle ». Monsieur Labonté évalue à 70 % la proportion d’activités religieuses organisées par l’organisme et à 30 % celles de croissance personnelle, sans parler de tous les groupes qui louent des locaux pour leurs propres activités.

« Toute personne, peu importe ses croyances ou ses incroyances, peut trouver ici de quoi se nourrir », ajoute-t-il. La Maison Trinitaires accueille beaucoup de fraternités anonymes liées aux dépendances (alcoolisme, toxicomanie, etc.). « C’est la mission que le Christ nous a confiée : être avec les gens là où ils sont, là où ils en ont besoin. »

Pour Michel Vigneau, o.ss.t., le charisme de la libération des captifs n’appartient pas aux Trinitaires, il est donné à l’Église entière. Photo : Maison Trinitaires/Jimmy Cliche

Alain Labonté poursuit : « Les activités religieuses restent importantes pour nous, mais il faut nourrir aussi tous ceux et celles qui se sont éloignés de l’Église et qui sont dans une quête. » Pour lui, la quête de Dieu commence par la quête de soi. « Si on peut aider des gens qui se sentent esclaves de leur vie à devenir acteurs de celle-ci, à se libérer de leurs chaînes, ce sera mission accomplie ! »

Il constate que les gens d’aujourd’hui sont malheureusement esclaves de plein de choses : outre l’alcool et les drogues, le sexe, le rendement, les réseaux sociaux, la dépendance affective… En offrant un espace où les gens peuvent se déposer, laisser tomber leurs fardeaux et reprendre le contrôle de leur vie, la Maison Trinitaires leur donne des outils, leur fait vivre un moment de liberté, avec des conférences, des retraites, du ressourcement, des enseignements en ligne… « Ainsi je peux trouver qui je veux être, qui je suis appelé à être, pour devenir la meilleure version de moi-même. » Grosso modo, plus de 10 000 personnes passent par la Maison annuellement. Même si elle est ouverte à tous, elle demeure une maison catholique d’inspiration trinitaire.

Passer le relais

Mais qu’en sera-t-il de cette inspiration trinitaire quand les Trinitaires n’y seront plus ? Le père Michel Vigneau avait pris soin de me préciser que ce charisme de la libération des captifs n’appartient pas aux Trinitaires, qu’il est donné à l’Église entière.

« Nous sommes importants, mais pas irremplaçables. Si jamais on n’est plus là, l’Esprit Saint, lui, est là, et le charisme trinitaire sera encore là. Les gens viennent, ça répond donc à un besoin d’Église. Je ne suis pas un optimiste, je suis un homme d’espérance. Et quand on fait partie d’un ordre religieux qui existe depuis 800 ans, on en a vu d’autres ! »

Sans doute le Seigneur continuera-t-il de susciter des personnes pour prendre le relais des Trinitaires et devenir, à leur tour, de véritables apôtres de la libération.

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