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c h a r g e m e n t

L’Évangile commence par la proximité humaine

JIMMY DELALIN
Stéphane Gaudet, rédacteur en chef

Par Stéphane Gaudet , rédacteur en chef

Jimmy Delalin, prêtre en mission sur la Côte-Nord

Photo: STÉPHANE GAUDET

Prêtre du diocèse de Lille, en France, Jimmy Delalin a passé 18 de ses 25 années de ministère en mission sur la Côte-Nord. Il est curé de Chute-aux-Outardes, de Pointe-aux-Outardes et de Fermont, à 600 km plus au nord. Il est aussi responsable de la mission jeunesse, des vocations, du diaconat permanent et de la formation continue dans le diocèse de Baie-Comeau.

P

asser de l’Église de France à l’Église de la Côte-Nord, un choc ?

Le choc, ça a été les proportions. Je suis passé d’un diocèse d’1,6 million d’habitants à un diocèse de 90 000 habitants. 500 prêtres à Lille, 14 dans le diocèse de Baie-Comeau. Plusieurs siècles d’histoire à Lille, ici une Église toute jeune, un diocèse de 80 ans. Tu n’es pas prêtre sur la Côte-Nord comme tu es prêtre en France. La mission, c’est vraiment vivre avec les gens ici. C’est une présence dans le temps, dans la durée, la proximité avec les gens.

Une Église comme celle de France, avec plus de monde, plus de ressources, ça ne vous manque pas ?

Non, parce que le « plus » ne veut rien dire en régime d’Évangile. Il y a des situations dans des diocèses ruraux en France qui sont comparables à la situation au Québec. J’ai un ami qui a 40, 50 paroisses mais qui a moins de paroissiens que moi à Chute-aux-Outardes. Il y a de grosses pauvretés en France. Quand tu vas dans la proximité, dans les villages, les banlieues, tu retrouves exactement les mêmes phénomènes qu’au Québec.

Ici, c’est vraiment missionnaire. Si tu es là, il faut l’être pour les bonnes raisons, pas pour faire de l’entretien. Moi, ce qui m’intéresse, c’est comment on annonce la foi dans cette société québécoise. Comment l’Évangile est pertinent ici.

Justement, comment on annonce l’Évangile à cette société ?

J’ai un petit laboratoire à Fermont. C’est une paroisse où il n’y a pas de retraités, ou très peu. Tout le monde travaille. Ce sont des jeunes de 20, 30, 40 ans. Je dis souvent à des confrères : pour être en lien avec une vingtaine de personnes, c’est 10 ans de travail. Est-ce qu’on a cette patience ? Est-ce qu’on va oser envoyer des prêtres dans des lieux qui demandent beaucoup de temps, d’observation, d’enracinement ? Peu à peu, tu te rends compte que ta présence va interroger les gens: pourquoi il y a une paroisse, pourquoi il y a un prêtre qui vient tous les mois ? Ça intrigue, parce qu’à un moment donné, tu fais partie du décor. Tu es dans les commerces, tu contactes les journalistes, la MRC. La première porte pour annoncer l’Évangile, c’est la proximité humaine.

C’est du un par un, de la couture sur mesure. Tu ne peux pas avoir un programme bien fignolé qui va convenir à tout le monde. Je m’aperçois que chaque fois où je rencontre une personne pour la première fois, je n’ai pas de mode d’emploi. C’est vraiment un discernement qu’il faut faire.

C’est passionnant parce qu’il y a des résultats. Par exemple, à Fermont, j’ai appelé un géologue au diaconat permanent. Il y a des choses très très belles qui sont en train de se passer au Québec, mais il faut avoir des yeux perçants pour les voir. Si on est dans la quantité, dans le « ça marche/ça marche pas »… On n’est plus là, on est rendus beaucoup plus loin que ça.

L’Église ne pourra pas renaître au Québec – ni nulle part ailleurs – si on ne remet pas l’Évangile entre les mains des gens. S’il n’y a pas une réinterprétation de l’Évangile par la vie des gens. Pas par un enseignement ex cathedra ou une apologie clinquante. Les gens sont capables d’Évangile. Le problème est que les gens ont des petits bouts d’Évangile chaque dimanche, mais ils n’ont pas le scénario complet. D’où l’immense besoin de formation. J’y consacre la moitié de mon temps.

Donc, l’Église a un avenir au Québec.

Bien sûr ! Mais l’Église doit compter sur les capacités et l’autonomie des gens. On a trop accompagné les gens en les infantilisant. Je suis prêtre, mais je ne suis pas un chef, ça ne tourne pas autour de moi. Je suis très inspiré par Mgr Albert Rouet, l’ancien archevêque de Poitiers. J’ai beaucoup d’affinités avec sa pédagogie, sa vision ecclésiale : il faut partir des baptisés, pas des prêtres.

Il faut que les gens retrouvent le bonheur de partager leur foi. Je connais mes paroissiens, ils aiment aller à la pêche, à la chasse, ils en parlent abondamment. Mais il y a une chose dont ils sont avares de paroles, c’est leur foi : ils sont dans une incapacité de la dire, de l’exprimer. Ce n’est pas leur culture, pas leur manière d’être.

Et l’aviation dans tout ça?

Je suis pilote d’avion depuis 10 ans. Le monde de l’aviation est une passion. Un ami professeur de théologie au séminaire a toujours dit : il faut que les prêtres aient autre chose que les affaires religieuses, un domaine où ils peuvent sortir de l’habituel. Je fais de la mécanique d’avion, c’est le deuxième moteur d’avion que je monte.

« Le monde de l’aviation est une passion. Un ami professeur de théologie au séminaire a toujours dit : il faut que les prêtres aient autre chose que les affaires religieuses. »

Quels sont les plus grands défis que vous rencontrez personnellement dans votre ministère ?

Le premier, c’est la conversion. Ce sont les questions que le Christ posait : est-ce que tu crois? Fais-tu confiance à l’Évangile ? Les gens font un pas, parfois deux. Mais le troisième pas, où ils vont vraiment faire partie de la communauté, s’y engager, faire grandir une vie chrétienne, un attachement au Christ, à sa Parole… Ce pas-là, beaucoup hésitent à le faire. C’est ce que l’Église veut entreprendre sous le vocable « disciples-missionnaires ». Bien sûr qu’il faut s’occuper des gens là, mais il faut aussi s’occuper des gens qui ne sont pas là, parce que l’Église est faite d’abord pour ceux qui n’y sont pas.

Deuxième défi : rejoindre les pauvres. Quand on roule sur la Côte-Nord, on se dit : où sont les pauvres ? On ne voit pas d’itinérants. Tout est caché. Il y a beaucoup de misère. Des misères familiales, comme la violence conjugale, des suicides, des familles brisées…

Troisièmement, les structures ecclésiales inadaptées. Dans cinq ou dix ans, la Côte-Nord va perdre encore la moitié de ses pratiquants. Ce seront de toutes petites communautés, des formats de cinq, dix, quinze personnes. Qu’est-ce que ça veut dire être prêtre pour de toutes petites communautés ? Il faut reconfigurer le ministère du prêtre. Il faut qu’il puisse à la fois célébrer les sacrements et consacrer une grande partie de son temps à la recherche, à la formation, à l’accompagnement.

Et vos plus grandes satisfactions ?

Ma plus grande satisfaction, c’est que je suis prêtre parce que les gens me font prêtre. Je ne serais pas prêtre sans eux. C’est une satisfaction de tous les jours, les gens me font exister. Ils le font par leur présence, leur amitié, la fraternité. Tu ne peux pas vivre tout seul. Les prêtres sont célibataires, et ici, on a très peu de confrères autour de nous, alors c’est très fort dans le ministère d’un prêtre sur la Côte-Nord : c’est vraiment la communauté qui est notre famille.

Aussi, la joie d’être toujours dans un ministère de recherche : essai-erreur, essai-erreur… Je ne suis pas tanné de chercher. Avec un évêque qui nous a laissé beaucoup d’initiative. Il nous fait confiance. Si tu as une idée, il ne va pas dire non. Essaie, et tu verras. C’est plaisant de pouvoir agir sans être contrôlé en permanence ou limité.

Le bonheur de voir que Dieu n’abandonne pas son Église. Le mot crise, au sens étymologique, c’est toujours quelque chose qui est en transformation. Un passage. Il y a quelque chose qui est en train de se faire qu’on ne voit pas! Un passage étroit, parce que ça demande de quitter sa zone de confort. Moi, je crois beaucoup en cette Église du Québec, qui est belle, qui est modeste, qui traverse des crises, et elle est encore debout. Il y a encore des gens qui ont le feu, qui veulent y aller. Et ça, ça ne trompe pas. C’est le signe qu’il n’y a pas un esprit défaitiste.

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