N D C

c h a r g e m e n t

Voir le crépuscule comme une aurore

Stéphane Gaudet, rédacteur en chef

Par Stéphane Gaudet , rédacteur en chef

Sœur Hectorine Boudreau, religieuse à Joliette, pour un reportage de la revue NDC

Photo: STÉPHANE GAUDET

Deux communautés religieuses vieillissantes, deux bâtiments voisins dans un magnifique environnement naturel au cœur de Joliette. Comment créer du neuf tout en gérant la décroissance ?

C'

est la question que s’est posée sœur Hectorine Boudreau (photo), responsable de la Région Québec-Acadie des Sœurs des Saints Cœurs de Jésus et de Marie, une congrégation établie à Joliette depuis 1903.

« J’avais assisté à une conférence de sœur Lorraine Caza, c.n.d. qui s’intitulait “On dirait un crépuscule, on dirait une aurore”. De notre crépuscule, est-ce qu’on peut créer du neuf ? Est-ce qu’on peut laisser un legs à la communauté lanaudoise ? Transformer le crépuscule en aurore. Cette phrase m’a motivée tout au long, depuis le début. Ça donne plein de sens à cette étape qu’on vit, pour gérer ce qu’on appelle la fin des congrégations religieuses. »

La genèse du projet

Dans un méandre de la rivière L’Assomption sont nichés la Maison Amélie-Fristel, des Sœurs des Saints Cœurs, et l’abbaye Notre-Dame-de-la Paix des Moniales Bénédictines. Quand les religieuses des Saints Cœurs se sont demandé où elles allaient finir leurs jours, elles ont eu le choix d’aller vivre dans les résidences pour aînés des alentours. Mais leurs 13 voisines bénédictines (aujourd’hui neuf) avaient déjà exprimé leur souhait de finir leurs jours à Amélie-Fristel. Elles étaient d’accord pour céder leurs bâtiments et leur domaine, devenus trop grands et trop lourds à gérer pour une dizaine de moniales. « Ça a changé notre perception du projet, car on s’est dit : pourquoi ne pas le faire sur ce terrain ? » Les deux communautés religieuses se sont ainsi associées pour donner naissance à PAX Habitat.

PAX Habitat est une résidence pour aînés qui accueille, outre les religieuses, une cinquantaine de laïques à revenus modestes. Sœur Hectorine, qui est aussi présidente du conseil d’administration de PAX Habitat, m’expliqueDeux communautés religieuses vieillissantes, deux bâtiments voisins dans un magnifique environnement naturel au cœur de Joliette. Comment créer du neuf tout en gérant la décroissance ?: « Nous voulions un milieu intergénérationnel, ouvert sur la collectivité, pas un ghetto de personnes âgées. » Dans l’agglomération joliettaine, 60% des aînés ont un revenu annuel de moins de 30000$. Le projet vise à s’assurer que les gens ne paient pas plus de 50% de leurs revenus pour se loger et se nourrir convenablement. Pour répondre à des besoins réels, des aînés de Joliette, qui vivaient déjà en résidence ou non, ont été interrogés: que souhaitent-ils, de quel milieu de vie rêvent-ils ? Puis les religieuses se sont entourées de personnes compétentes, de différents domaines, pour le réaliser.

Être des contributeurs

Pour Isabelle Comiré, directrice générale de PAX Habitat, nul besoin d’être croyant pour y vivre, mais il faut adhérer à certaines valeurs: la bienveillance, l’entraide, la solidarité, le souci de l’environnement… Aussi, l’ouverture et la tolérance, car PAX Habitat accueille le CPE (centre de la petite enfance) des Amis des Prairies et ses 70 enfants. Elle-même ancienne directrice de CPE, c’est l’aspect plurigénérationnel du projet qui l’y a attirée.

« C’est une des pierres d’assise de ce projet de mêler enfants et aînés. C’est une bonne idée, autant pour les aînés d’être en contact avec des enfants que pour les enfants d’être en contact avec les aînés. Ça crée une dynamique intéressante. »

Mais surtout, les résidents de PAX Habitat ont dû s’engager à être des contributeurs à la vie et au fonctionnement des lieux, une à deux heures par semaine. Ainsi, pas de réceptionniste, pas d’animateur en loisirs, pas de jardinier rémunérés, toutes ces tâches peuvent être assumées par les résidents selon leurs talents et leurs capacités. « Ça peut être aussi banal que faire des téléphones d’amitié, raconter des histoires aux enfants de la garderie, aider à les habiller l’hiver, arroser le jardin communautaire, faire des photocopies », précise Mme Comiré.

Elle dit avoir reçu 800 demandes. 600 personnes ont rempli les formulaires nécessaires. Puis, une centaine de personnes ont été passées en entrevue pour sélectionner en bout de ligne 18 couples et 17 personnes seules.

« On veut que les gens s’approprient leur milieu de vie et restent autonomes le plus longtemps possible. Il y a plein de résidences pour aînés où les gens sont pris en charge. Ici, on veut que les gens se prennent en charge. Ça les valorise de contribuer au milieu de vie. Ce n’est pas parce que tu arrives dans une résidence pour personnes âgées que ta vie est finie. Et quand une personne nous disait : “Moi, j’ai 75 ans, j’ai assez contribué dans ma vie”, ça signifiait que PAX Habitat n’est pas pour elle. Nous sommes bien conscients que ce que nous offrons n’est pas pour tout le monde. »

Un édifice tout neuf, écologique et lumineux.

La maison Humania

Sur les 102 unités de logement de PAX Habitat, une soixantaine sont occupées par les religieuses. Les moniales, cloîtrées, ont leur propre milieu de vie à l’extrémité du bâtiment. Il y a aussi 32 chambres dans la section des soins, appelée Maison Humania: 16 chambres où les gens nécessitent 1,5 heure et plus de soins par jour, et 16 chambres pour ceux qui ont besoin de moins. 90 % de la cinquantaine d’employés de PAX Habitat sont affectés aux soins.

La directrice générale explique l’approche : « On prend le temps de prendre le temps. Les préposés travaillent fort, mais ne courent pas comme dans le réseau de la santé. Ils ont le temps de faire un casse-tête avec les résidents, de jaser avec eux. Nos préposés sont aussi des intervenants-accompagnateurs et chaque résident est jumelé à l’un d’eux. On accompagne la personne jusqu’à la fin de sa vie. »

Elle insiste, « jusqu’à la fin de sa vie ». Car entre l’âge de 65 ans et son décès, une personne peut avoir à déménager quatre fois à cause du déclin de son état de santé. Et à chaque déménagement, souvent vécu comme un déracinement, on évalue que l’état de santé de la personne se détériore de 10 %. PAX Habitat a été conçu pour éviter ces déménagements. « Chez nous, si ton état de santé change, tu restes ici. »

Carmelle Mireault : « La sélection des résidents a été bien faite. »

Certifié écologique

Dès le départ, les religieuses des deux congrégations se sont souciées de l’aspect environnemental du projet. « C’était non négociable », souligne fermement sœur Hectorine. Seuls cinq arbres ont été coupés, car les architectes ont positionné le nouveau bâtiment en fonction de l’emplacement des arbres du domaine des moniales. Le reste du domaine sera transformé en parc par la Ville de Joliette, accessible tant aux résidents de PAX Habitat qu’à toute la population. Le bâtiment a des toits verts et des toits blancs, le nombre de places de stationnement est réduit, la gestion des déchets inclut recyclage et compostage. Quant aux matériaux, il fallait qu’ils proviennent du Canada, le plus possible de fournisseurs de Lanaudière, y compris pour l’ameublement. PAX Habitat est un projet écologique qui a obtenu la certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design).

Les résidents de PAX Habitat croisés au fil de ma visite n’y habitent que depuis le début de l’année 2023 mais se disent tous très heureux d’y être. My Nhien Dang aime vivre avec les religieuses et apprécie la spiritualité qui empreint les lieux. « Et les voisins sont gentils, on s’entraide », ajoute-t-elle. Carmelle Mireault, qui me fait visiter son appartement avec vue sur la rivière, estime que « la sélection des résidents a été bien faite ». Le couple que forment depuis 61 ans Arthur Roberge et Marcella Charette s’étonne d’être aussi bien. « On est au septième ciel ! Je ne m’attendais pas à ça. Vous savez, après avoir habité la même maison pendant 56 ans… », confie M. Roberge.

Le charisme d’Amélie

L’originalité de PAX Habitat est qu’il s’agit d’un organisme à but non lucratif alors que souvent, les communautés religieuses vendent à des promoteurs privés. Les bâtiments et terrains des religieuses ont d’ailleurs été convoités par plusieurs d’entre eux : c’était un NON assuré. L’actuelle Maison Amélie-Fristel sera occupée par des organismes communautaires. Le monastère, lui, abritera des bureaux administratifs et une galerie d’art tout en conservant la chapelle qu’on souhaite ouvrir à la collectivité.

Le projet s’inscrit en droite ligne dans le charisme d’Amélie-Fristel, fondatrice des Sœurs des Saints Cœurs de Jésus et de Marie, nous dit sœur Hectorine. « Quand elle a fondé la congrégation à Saint-Malo, en Bretagne, c’était pour prendre soin des vieillards abandonnés. À son époque, elle a inspiré tout ce qu’on souhaite pour ce milieu-ci. Elle parlait de vieillards abandonnés, nous on parle d’aînés à plus faible revenu. De plus, un riche lui a légué un domaine avec un grand jardin; Amélie a voulu que ses vieillards puissent s’y promener et le cultiver. »

Exactement ce qui se vit aujourd’hui à PAX Habitat dans son écrin de verdure.

ENTREVUES

Entrevue avec Mgr Alain Faubert sur le synode

«La synodalité goûte bon »

La deuxième session du Synode sur la synodalité s’est déroulée à Rome au mois d’octobre 2024. Nous avons rencontré Mgr Alain Faubert, évêque de Valleyfield.

  • avril 2025

REPORTAGES

Le frère oblat Bernard Hamel (1925-1994)

«Y a pas d’heure pour les pauvres !»

Le frère oblat Bernard Hamel (1925-1994) a marqué Rouyn-Noranda par son dévouement envers les pauvres.

  • mars 2025

CHRONIQUES

Réhumaniser la santé

Réhumaniser la santé

La santé représente plus de 40% des dépenses gouvernementales. Le vieillissement de la population les pousse irrépressiblement vers le haut.

  • avril 2025