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c h a r g e m e n t

Pourquoi cette haine ?

PERSÉCUTION DES CHRÉTIENS

Par Michel Dongois

  Église
Un chrétien d’Irak montre une statue du Sacré-Cœur décapitée par Daech.

Photo: AED. Un chrétien d’Irak montre une statue du Sacré-Cœur décapitée par Daech.

Professer sa foi en Jésus Christ est parfois dangereux. Les chrétiens représentent les trois quarts des victimes de tourments pour motifs religieux dans le monde.

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'Occident reste plutôt indifférent devant cette tragédie qui affecte un chrétien sur sept (2023), dans 78 pays. Mais l'organisme international Aide à l'Église en détresse (AED), lui, n'oublie pas ces persécutés. AED leur apporte notamment du soutien pastoral. « Des diocèses ou des communautés religieuses viennent à nous avec des demandes de projets. Nous les soutenons financièrement sur le terrain », précise Mario Bard, agent d'information à AED Canada. Des aides d'urgence, comme celle accordée récemment au diocèse de Kafanchan, au Nigéria, pour secourir des réfugiés chassés par des attaques islamistes.

OPPRIMÉS UN PEU PARTOUT

En matière d’urgence, AED sait faire. L’organisme a vu le jour pour desservir spirituellement les millions d’Allemands expulsés de l’Est après 1945. Il a ensuite secouru les chrétiens opprimés derrière le rideau de fer communiste en Europe. Puis il a élargi sa mission, évaluant régulièrement l’état de la liberté religieuse dans le monde. Il documente aussi les violences à partir de témoignages directs, dont ceux de survivants d’attaques antichrétiennes.

L'oppression des chrétiens s'aggrave un peu partout, déplore Mario Bard. Les vexations suivent un habituel et tragique crescendo : intimider, discriminer, persécuter. Elles revêtent diverses formes : interdiction du christianisme (Corée du Nord), allégation de blasphème (Pakistan), publication de contenus désobligeants sur le christianisme dans les manuels scolaires (Inde, Pakistan). Tout discours de haine n'entraîne pas forcément un passage à l'acte, mais que dire des enlèvements, conversions et mariages forcés de jeunes femmes chrétiennes ! Détruire des lieux de culte aussi, confisquer des biens, tout cela généralement dans l'impunité et la passivité des pouvoirs publics.

« Il s'agit cependant de violences où le facteur religieux n'explique pas tout », précise Mario Bard. Il est même rarement la source première des conflits. « Quand on veut commettre un forfait, on revêt un habit religieux », selon un dicton iranien. La religion offre parfois un drapeau identitaire bien commode pour mobiliser, désigner un ennemi… toujours l'autre. Diverses réalités accompagnent en fait les sévices : corruption, tensions ethniques, conflits fonciers, etc.

ENTRE LA VALISE OU LE CERCUEIL

Depuis le 11 septembre 2001, le couple violence-religion semble indissociable dans l'esprit du grand public, à tort ou à raison. Difficile aussi de démêler les interactions entre les domaines religieux, politique et social, la religion demeurant un fort « marqueur de l'identité » dans plusieurs pays. Avec des résultats parfois troublants. En Iran, rappelle AED, distribuer une bible peut vous mener en prison. Réputés plutôt pacifiques, des bouddhistes aussi commettent des exactions (Sri Lanka, Myanmar).

Les extrémistes rivalisent d'inhumanité : des religieuses tabassées en Égypte ; des chrétiens nigériens abattus pendant la messe puis défigurés « afin que Dieu ne les reconnaisse pas ». Un récent attentat-suicide commis dans une église grecque-orthodoxe syrienne a endeuillé la minorité chrétienne. Déjà fragilisés par l'angoisse quant à leur avenir au Moyen-Orient, ces chrétiens oscillent entre peur et résistance, entre colère et résignation. Leur dilemme se résume parfois à choisir entre la valise ou le cercueil.

EXTRÉMISME, AUTORITARISME, NATIONALISME

Qui sont les persécuteurs ? Des acteurs étatiques et non étatiques, regroupés autour de trois matrices principales, selon AED. Dans l'ordre, l'extrémisme islamiste, les gouvernements autoritaires (communisme d'État – Chine, Corée du Nord) et le nationalisme ethnoreligieux conjugué au mythe de la pureté raciale (Inde). Ajoutons les gangs criminels, dont les cartels de la drogue qui expulsent ou exécutent prêtres et pasteurs dénonçant les narcotrafiquants (Nicaragua, Venezuela).

L'appât du gain aussi attise les conflits, pour le contrôle des ressources naturelles – hydrocarbures, terres rares, métaux critiques. L'argent pèse alors plus lourd que les convictions religieuses. Quant aux guerres dites de religion, elles sont souvent des guerres civiles, avec des enjeux de pouvoir interne, comme ceux qui opposent musulmans sunnites et chiites (Afghanistan, Pakistan). Tout cela impacte également les chrétiens.

Bien que n'étant pas les seules minorités ciblées, les chrétiens le sont souvent de façon disproportionnée. Un dénominateur commun à leur rejet semble être le discours de haine antioccidental. Les chrétiens sont perçus comme des étrangers ou des agents de l'étranger, même s'ils habitent les lieux depuis des siècles.

Pourquoi cette haine ? Accordant la primauté à l'individu, l'Occident représente la modernité – État de droit, démocratie, respect des libertés individuelles, égalité homme-femme. Or, tout cela menace les États policiers. En Orient prime le groupe, non d'abord la personne. Dans certains pays, les islamistes exercent un terrorisme psychologique continu sur les filles et les femmes. En Égypte, l'animosité envers les chrétiens coptes inclut, entre autres facteurs, le fait qu'ils réussissent mieux en affaires.

EN AFRIQUE, L’ÉPICENTRE

Le tableau géographique des persécutions évolue, constate AED. L'épicentre des violences islamistes s'est déplacé du Moyen-Orient vers l'Afrique, où se trouvent la majorité des chrétiens tués dans le monde (Mali, Niger, Burkina Faso et Nigéria notamment). En Afrique subsaharienne, précise l'organisme, la brutalité est souvent motivée par un mélange de djihadisme islamiste transnational, de criminalité organisée et de banditisme local. « L'islam des groupes armés n'est pas l'islam de nos frères. Les musulmans du Burkina sont eux-mêmes des cibles », rappelle Mgr Laurent Dabiré, archevêque catholique du pays.

La complexité de la situation sur le terrain appelle bien des nuances, précise Raoul Baziomo, prêtre diocésain au Burkina Faso, de passage à Montréal. Les liens s'enchevêtrent, une même famille pouvant compter un musulman, un chrétien et un adepte d'une religion africaine traditionnelle. Entre le christianisme et l'islam par exemple, les relations fluctuent, allant de la coexistence pacifique aux plus vives tensions.

Par ailleurs, les violences sont souvent des tueries sans revendication précise. On instrumentalise la religion pour diviser, explique-t-il, sans que ce soit de la persécution comme telle. « Terroriser pour terroriser ! Tuer aussi pour déstabiliser le gouvernement, soulever la population contre lui. Dans tous les cas, ce sont des Burkinabés qui tuent d'autres Burkinabés. » Un groupe attaque un dépôt pharmaceutique dans une mission, par exemple, et enlève une infirmière pour qu'elle soigne un chef de guerre blessé.

Scénario classique : des hommes armés non identifiés (des HANI) tombent sur un village isolé, massacrant tous ceux qu'ils croisent. Par pure cruauté. Les villageois fuient, devenant des personnes déplacées internes (des PDI) qui vont s'entasser dans les villes. Des zones de non-droit, indique Raoul Baziomo, où les attaques affectent l'Église, obligeant à fermer des paroisses, à déplacer prêtres et catéchètes. « Dans pareille ambiance de désolation où les structures familiales et sociales sont perturbées, comment rappeler que Dieu ne nous oublie pas ? Agir en chrétien, n'est-ce pas d'abord gérer les traumatismes des victimes ? »

Raoul Baziomo, prêtre burkinabé : « Comment rappeler que Dieu ne nous oublie pas? »
PHOTO : MICHEL DONGOIS

DÉSORMAIS EN OCCIDENT

L'actualité montre par ailleurs que les actes antireligieux, antichrétiens en particulier, gagnent l'Europe. Sont visés divers pays – Autriche, Espagne, France – avec incendies, profanation de tabernacles, graffitis insultants sur des églises catholiques, orthodoxes et évangéliques. Et même des agressions verbales ou physiques.

AED évoque en outre ce qu'il nomme « le discours contraint ». Il s'agit d'une parole formatée qui restreint l'expression des idées dans l'espace public, imposant des valeurs culturelles où la religion est souvent disqualifiée. Essayez par exemple de vous déclarer publiquement chrétien aujourd'hui en Occident ! Plus aucune place pour la nuance sur des sujets sensibles (avortement, suicide assisté, etc.). Cette forme subtile de violence idéologique inclut l'autocensure et la culture de l'effacement du passé (cancel culture), ajoute l'organisme.

L'espoir émerge pourtant dans le monde. Des initiatives de dialogue interreligieux surgissent, comme en Indonésie. La ferveur revient quand reprennent les célébrations religieuses, note AED. En témoigne une missionnaire franciscaine captive d'un groupe djihadiste pendant 56 mois au Mali. L'épreuve a été un réveil, confie-t-elle, « l'une des expériences les plus spirituellement transformatrices de ma vie. » La religieuse s'est efforcée de nourrir la commune humanité qui l'unissait aux autres, y compris à ses ravisseurs. Les musulmans nous admiraient pour deux choses, conclut-elle : des prières constantes et une fraternité ouverte.


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